Il est clair que, comme les autres pays de la zone euro, la France bénéficie d’une amélioration cyclique, conjoncturelle. La croissance devrait atteindre 1,5 % environ cette année, contre 1,1 % en 2016 ; le secteur privé a créé près de 200 000 emplois en 2016 et 285 000 emplois sur un an à la fin du premier trimestre 2017 ; le taux de chômage (9,3 % aujourd’hui) baisse rapidement.

À quoi peut-on attribuer cette amélioration ? Différents facteurs vont dans la même direction : le redressement du commerce mondial, en grande partie dû à l’amélioration de la situation économique des grands pays émergents et des pays exportateurs de pétrole, avec une progression de 4 % en 2017 des échanges mondiaux en volume (contre 2 % en 2016) ; la progression rapide de la construction de logements, avec les taux d’intérêt très bas, la reprise du crédit immobilier, et une hausse probablement de près de 20 % des mises en chantier entre 2016 et 2017 ; une accélération de l’investissement des entreprises (4 à 5 % probablement de croissance en 2017), qui deviennent optimistes pour l’avenir et observent l’amélioration de leur profitabilité ; la stabilisation du déficit public dont la réduction de 2010 à 2015 avait comprimé la demande ; enfin le maintien d’un prix du pétrole assez bas, autour de 50 dollars le baril, ce qui est favorable aux consommateurs.

En 2017, la croissance de la France, comme celle de la zone euro, sera donc très probablement supérieure à ce qui était attendu il y a seulement quelques mois. Faut-il pour autant devenir très optimiste quant à la situation économique de la France ? Cette amélioration conjoncturelle nette annonce-t-elle une amélioration structurelle ? Il faut certainement rester prudent.

La première difficulté est commune à tous les pays de l’OCDE : les gains de productivité continuent à ralentir, la tendance n’est plus que de 0,5 % par an, ce qui explique le chiffre très faible de la croissance potentielle, 0,8 % par an. Or, à la vitesse présente de réduction du chômage, celui-ci pourrait arriver dès la fin de 2018 au niveau du taux de chômage structurel, incompressible sans réformes structurelles (probablement autour de 8,5 %). Il est donc possible que, dès le début de 2019, la croissance de la France retombe au niveau très faible de la croissance potentielle.

Les autres difficultés sont, elles, spécifiques à la France. Tout d’abord, la France se caractérise par le couple infernal niveau de gamme faible-coûts salariaux élevés. Le niveau de gamme faible de la production se traduit par une forte sensibilité de la demande pour les produits français à leurs prix, à laquelle il faut ajouter la faible modernisation du capital des entreprises françaises (le nombre de robots par salarié y est 30 % plus faible qu’en Espagne ou en Italie, deux fois plus qu’en Allemagne, presque trois fois plus qu’en Suède, au Japon ou en Corée). Le coût du travail en France doit être comparé à celui de pays ayant le même niveau de gamme, comme l’Espagne ; or le coût salarial par unité produite est 20 % plus élevé en France, avec à la fois un niveau de salaire élevé et une pression fiscale très forte sur les entreprises.

Il est d’ailleurs nécessaire de se rendre compte que, même si la profitabilité des entreprises françaises s’est redressée depuis 2013, elle reste très faible par rapport à celle des autres pays de la zone euro ; le taux de marges bénéficiaires à la fin de 2016 est de 32 % en France pour l’ensemble des entreprises non financières, de 43 % en Allemagne, en Espagne ou en Italie.

Enfin, les difficultés du système éducatif et de formation professionnelle de la France sont connues. Chaque année, 17 % des jeunes français deviennent des NEETs (No Education, no Employment, no Training), des jeunes déscolarisés et sans emploi, ce qui, tant que ce chiffre ne faiblit pas, laisse peu d’espoir de baisse du taux de chômage structurel de la France. Peut-on espérer que les réformes annoncées, qui, perspective favorable, vont avoir lieu dans un environnement conjoncturel de croissance plus forte, corrigent ces handicaps structurels (de coûts, de profitabilité, de compétence) ?

L’amélioration de la compétitivité-coût et de la profitabilité de la France nécessite une modification de la formation des salaires : il faut qu’elle prenne mieux en compte la situation de compétitivité et de profitabilité des entreprises. Décentraliser les négociations du marché du travail dans les entreprises est donc une bonne idée, mais il faudrait que cette décentralisation soit substantielle et concerne certaines composantes importantes de l’organisation du travail.

Le redressement des compétences de la population active induit une réforme de l’école qui fasse disparaître ce qu’on appelle les « décrocheurs », les enfants qui se déscolarisent et qui alimentent le contingent énorme des jeunes inemployables. Il est donc nécessaire de changer nos méthodes et notre système éducatifs afin qu’ils ne servent plus seulement à organiser la sélection des élites futures, mais parviennent aussi à maintenir tous les enfants à l’école en leur permettant d’atteindre un niveau suffisant.

La réforme du système de la formation professionnelle est aussi critique : aujourd’hui, le contenu des formations n’est pas adapté à la nature des emplois à pourvoir et la formation professionnelle profite surtout aux salariés déjà bien qualifiés. Si la France adopte la flexisécurité, elle doit prendre garde à mettre en place un système équilibré : rien de plus dangereux que la flexibilité (réduction des coûts de licenciement) si elle ne s’accompagne de la sécurité (hausse de l’employabilité des salariés).

Enfin, toutes ces réformes ont lieu dans un contexte où la France ne peut pas accroître son déficit public. On ne peut recourir aux solutions simples (baisser les impôts, augmenter les dépenses d’éducation, de formation, sans contrepartie) si l’on n’a pas assuré leur financement.

On peut certes être plus optimiste – la France va mieux, crée des emplois et des entreprises… – mais il faut bien avoir en tête l’ampleur du travail à réaliser pour corriger nos handicaps structurels. 

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