Ma chère maman,

C’est seulement maintenant où je t’écris sur ce papier à en-tête de l’Assemblée nationale que je réalise que j’ai été élu député. Tout est allé si vite depuis que j’ai envoyé ma candidature à En marche ! et que j’ai eu la bonne surprise qu’elle soit retenue. Les sélectionneurs m’ont dit que je cochais toutes les cases : jeune, entrepreneur, ancien humanitaire, expatrié pendant deux ans en Allemagne… « Il te manque juste d’être une fille »… À peine réglée ma situation au travail, j’étais en campagne, tête baissée. Tu comprends pourquoi je n’ai pas eu le temps de venir te voir. Mon équipe était aussi hétéroclite que possible : de vieux habitants de la circo qui m’ont briefé sur des tas de questions locales, des garçons et des filles du coin que j’avais côtoyés en collant les affiches de Macron pour la présidentielle, des volontaires envoyés par le QG, leurs copains et des copains de copains décontractés et enthousiastes. Assez vite, ça a fait du monde et ma suppléante a organisé les distributions de tracts et les descentes sur les marchés avec l’efficacité de la DRH qu’elle est. En plus, pas mal de mes soutiens venaient de start-up où ils ont pris l’habitude de coordonner leurs initiatives. L’ambiance avait quelque chose d’une colonie de vacances et nous avions davantage l’impression de jouer une bonne farce aux pros de la politique que de partir à la conquête du palais Bourbon. Ça n’amusait pas nos adversaires autant que nous : en nous croisant sur les marchés, ils avaient l’air de lapins le jour de l’ouverture de la chasse.

On a dit qu’En marche ! avait mis le monde politique cul par-dessus tête ; moi, j’ai plutôt vu des barrages rompre. J’ai pensé au garçon du conte chinois dont on croit qu’il peut libérer l’énergie d’un tremblement de terre parce qu’il a tapé du pied au moment précis où s’en déclenchait un. Des membres et des élus du PS et de LR nous ont aidés en douce. Pas mal d’entre eux, désenchaînés et déchaînés par l’échec de leurs formations à la présidentielle, avaient des comptes à régler avec leur parti. Deviendrons-nous comme ces camaraderies haineuses ?

À part ça, la campagne a été sans histoire ; les gens nous accueillaient gentiment. Peu d’enthousiasme, plutôt une bienveillance incrédule. Il est vrai que notre nombre, notre jeunesse et notre bonne humeur ne ressemblaient pas aux images des politiciens. L’affaire Ferrand a provoqué davantage de troubles chez les militants que parmi les électeurs. La nouveauté balaie tout. Les accusations d’hégémonie antidémocratique n’ont pas imprimé, ou elles ont fait sourire. « Et en 1998, quand on a battu les Brésiliens 3-0, on aurait dû leur rendre des buts à la fin ? »

À En marche !, je n’entends plus nommer « Emmanuel ». On dit « le Président », et j’ai parfois l’impression d’entendre la majuscule. Mardi, en recevant l’écharpe, j’ai bien sûr pensé à papa. Le contrecoup après un mois intense, ajouté à l’incertitude sur ce qu’on attend précisément de moi : j’ai eu un coup de blues. J’en suis vite sorti : la clameur dit que, inexpérimentés, nous serons ingérables (mais aussi que nous serons à la botte), et que nous créerons toutes sortes de problèmes. Nous sommes abreuvés de ce genre de prophéties depuis tant de mois… Au palais Bourbon, j’ai entendu un rescapé de LR, parlant de nous, dire à un miraculé PS : « Tu les as vus ? Ils ont encore du placenta dans les narines. » Je lui ai rétorqué : « Et en plus, on va autoriser le redoublement. » 

 

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