Ma promenade dans le Zapion, cette première nuit, fut un enchantement. Aucun jardin public n’est ­demeuré dans ma mémoire comme celui-là. Il est la quintessence du genre – générateur du même sentiment qu’on éprouve parfois en regardant une toile, ou en rêvant d’un endroit où l’on aimerait vivre, sans espoir de le trouver. Également adorable le matin, ce parc – je m’en aperçus par la suite. Mais la nuit, quand on y arrive comme tombant des nues, et qu’on sent sous ses pieds le sol dur et battu, qu’on entend bourdonner cette langue parfaitement étrangère, c’est une magie – et d’autant plus pour moi, peut-être, que je le revois plein des gens les plus pauvres du monde, et les mieux nés. Je suis heureux d’avoir découvert Athènes durant cette ­incroyable vague de chaleur ; heureux d’avoir vu la ville dans les pires conditions. J’ai senti la force nue de ce peuple, sa pureté, sa noblesse, sa résignation. J’ai vu les enfants et ce spectacle m’a réchauffé le cœur, parce que je venais de France où l’on eût dit que les enfants étaient absents de ce monde, avaient cessé de naître. J’ai vu des gens en haillons, et cela aussi était une purification. Le Grec sait vivre en haillons ; à l’encontre de ce que j’ai vu dans d’autres pays, il n’en éprouve nul sentiment de dégradation totale ni de dernière souillure. 

Extrait du Colosse de Maroussi, 1941,
traduit de l’anglais par Georges Belmont 
© Éditions du Chêne, 1958

 

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