Quel regard portez-vous sur la ville d’Athènes ?

Je me suis rendu à Athènes la première fois dans les années 1960, alors que j’étais étudiant en architecture : un pèlerinage incontournable. Mon impression a été celle d’un grand désordre. Ce n’est que bien plus tard que j’ai compris sa cohérence. Athènes apparaît comme beaucoup plus chaotique qu’elle ne l’est en réalité. La ville possède une structure, une logique, à travers laquelle on peut lire son histoire. Son architecture est hétérogène mais les quartiers sont clairement distincts selon les époques. Celui de Plaka, quartier ancien en contrebas de l’Acropole, n’a rien à voir avec le quartier adjacent qui date des années 1950. Athènes a évolué par quartier. Et cette hétérogénéité possède une certaine harmonie. Par exemple, quand l’hôtel Hilton a été construit – un bâtiment d’une douzaine d’étages – cela a choqué tout le monde. Je trouve au contraire que le matériau, les couleurs, le modernisme de l’édifice s’intègrent parfaitement avec cette architecture composite. Mais je regrette que les Athéniens ne prennent pas assez soin de leur ville. La pollution atmosphérique a énormément diminué mais pas la pollution visuelle : on trouve partout des panneaux publicitaires de la hauteur de deux étages, implantés sans aucune compréhension du contexte urbain et architectural. Cela porte un très grand préjudice à la lecture de la ville. 

Comment s’inscrit l’Acropole dans ce contexte ?

Le rocher de l’Acropole s’élève au milieu d’une ville qu’il surplombe. C’est un obstacle au cœur de la cité, une zone infranchissable. Cela marque la psychologie des gens. La ville s’est développée entre le port du Pirée et les flancs de l’Acropole. Un modèle que l’on retrouve en France ou en Allemagne, où les villes se sont développées autour des cathédrales. Le nouveau musée de l’Acropole, situé exactement au bas de la colline, est comme en lévitation au-dessus de l’ancienne Athènes qui date du vie siècle. Il est intéressant de noter que la ville du xixe siècle a suivi le même tracé des rues que celui de la ville du vie siècle.

Quel défi représentait la construction d’un musée sur un tel site ? 

Les contraintes générées par ce projet étaient immenses. Le défi n’était pas tant de faire cohabiter deux époques que de faire cohabiter la ville du commun des mortels avec la ville des dieux. La perfection du Parthénon, la mise en scène des différents temples sur l’Acropole, est tellement étrangère à la vie qui s’improvise à ses pieds ! J’ai intégré ces deux aspects dans la forme même du musée. Le bâtiment est composé de trois couches superposées. La première est en lien avec la vieille ville du début du millénaire. Elle est constituée par les murs qui retiennent les traces de la vie quotidienne de cette époque. On retrouve un puits, des salles de séjour... J’ai voulu conserver ces vestiges et poser le musée sur des pilotis qui très soigneusement les protègent. Sur le deuxième niveau, on retrouve toutes les sculptures de la période archaïque. J’ai utilisé du béton poreux qui absorbe la lumière, tandis que les statues de marbre la reflètent. Le troisième niveau s’adresse au Parthénon.

Justement, n’est-ce pas intimidant de bâtir un monument dans le sillage d’un tel chef-d’œuvre ? 

Je suis parti du principe que le Parthénon était une œuvre incomparable et qu’il était exclu que j’entre en compétition avec Monsieur Phidias, le sculpteur. J’ai opté pour une forme mathématique : ce n’est pas avec Phidias que je voulais dialoguer mais avec Pythagore. Et ce dialogue, il fallait l’ébaucher à travers une construction technologique minimaliste. Ce musée est volontairement une abstraction, notamment par l’utilisation du béton et du verre. Le rectangle de verre transparent permet de voir vers le Parthénon depuis le dernier niveau. Grâce à ce vitrage, je peux dans un même regard contempler la frise dans le musée et le temple dans lequel elle était placée. Ce niveau s’adresse aux temples, aux dieux et à la ville d’Athènes : le plancher de la grande galerie de verre est situé exactement au niveau des toits. Ce musée, qui possède les dimensions du ­Parthénon, est à la charnière entre l’ancien et le nouveau, mais ne cherche pas à dominer le paysage urbain. 

Si le Parthénon domine la ville, existe-t-il un autre bâtiment emblématique et plus récent à Athènes ? 

Il y en a mais paradoxalement il ne s’agit pas nécessairement de bâtiments d’une très grande qualité architecturale. Je vais vous donner un exemple qui fera bondir mes amis grecs : l’ambassade américaine de Walter Gropius. L’architecte accumule dans cet édifice une série d’erreurs. Il tente de recréer un temple moderne grec, établit des proportions grandiloquentes, preuve qu’il a mal compris l’hellénité et l’histoire de cette architecture. Malgré tout, il parvient à établir une présence qui ne dépare pas la ville d’Athènes. 

Propos recueillis par Elsa Desbaresdes

Vous avez aimé ? Partagez-le !