Clisthène d’Athènes, le fondateur au VIe siècle av. J.-C. du premier système démocratique avec l’instauration d’une véritable assemblée souveraine, ne s’y retrouverait sans doute guère. Notre organisation parlementaire est devenue une machine à la fois sophistiquée et complexe avec deux chambres : l’une représentant le peuple, l’Assemblée nationale, formée de 577 députés et renouvelée désormais tous les cinq ans dans le mois qui suit l’élection présidentielle ; l’autre, le Sénat, reflet des territoires, constitué de 348 sénateurs élus pour six ans et renouvelé par tiers tous les trois ans. Mais la Constitution est catégorique : l’Assemblée nationale, élue au suffrage universel direct, a toujours le dernier mot dans le débat législatif.

Un Palais et un Hémicycle

Depuis 1799, toutes les assemblées de l’histoire de la République ont siégé au palais Bourbon. Situé dans l’axe du pont de la Concorde, cet ensemble architectural a été édifié de 1722 à 1728, en même temps que l’hôtel de Lassay, la résidence du président de l’Assemblée. La construction du Palais fut ordonnée par Louise-Françoise de Bourbon, fille reconnue de Louis XIV et de sa favorite Madame de Montespan. Remanié entre 1827 et 1832 par l’architecte Jules de Joly, il n’a pas été profondément modifié depuis. La forme définitive de l’hémicycle date de cette époque, mais il a fallu, au fil des législatures, plusieurs fois l’aménager en fonction du nombre de députés. N’a-t-il pas accueilli jusqu’à 880 élus lors de l’élection de l’Assemblée constituante de la IIe République en 1848 et encore 627 sous la IVe ! En janvier 1959, leur nombre fut ramené à 540 et descendit à 482 en 1962, pour remonter légèrement lors des législatures suivantes. En 1986, enfin, il est passé de 491 à 577 avec l’instauration, pour une seule législature, de la proportionnelle. Il reste depuis inchangé.

Logement et parc immobilier

Les années passant, il a fallu cependant sortir de ces murs historiques, s’étendre pour offrir aux élus plus de place et de confort. C’est une véritable ville dans la ville qui s’est ainsi développée au cœur de Paris. Trois immeubles ont été acquis dans les alentours, dont un ancien hôtel rue de l’Université, relié désormais au Palais par un long et discret passage souterrain. 124 000 mètres carrés, 9 500 locaux dont de très nombreux bureaux, un budget pour 2017 de 517 890 000 euros… les chiffres parlent d’eux-mêmes : la démocratie parlementaire est un petit royaume. Pour autant, ses membres ne vivent pas dans le faste. La majorité des députés disposent d’un bureau avec une possibilité de couchage. Lorsque ce n’est pas le cas, ils peuvent accéder, moyennant une participation, à l’une des 51 chambres de la résidence de l’Assemblée nationale dans l’immeuble dit Chaban-Delmas, ancien siège du RPR, lui aussi situé rue de l’Université. Si cette dernière est complète, l’Assemblée rembourse pour partie aux députés leurs nuitées d’hôtel à Paris. Deux restaurants sont également à la disposition des parlementaires. Mais les prestations y sont à leur charge. 

La buvette

Exclusivement réservée aux députés, la buvette, créée dès 1797 par un limonadier nommé Jacob, est, naturellement, un lieu de rencontres et parfois d’intrigues à l’abri des journalistes et des caméras qui tournent en permanence dans l’hémicycle et ne perdent rien de ce qui s’y passe. Ici, règne l’entre-soi parlementaire et l’on se tutoie. Le décor s’y prête avec ses panneaux peints représentant des femmes nues. On échange, on refait la séance, on lâche souvent des vacheries contre ses amis – Ségolène Royal y fut très brocardée par les leaders socialistes pendant sa campagne de 2007 – et parfois on s’engueule. On suit aussi les débats en cours grâce à deux téléviseurs. On s’y défie parfois en chansons. Également en boissons. C’est ici que le chanoine Kir, député de Côte-d’Or et maire de Dijon, fit la réputation du vin blanc-cassis dans les années 1950. En fait, la buvette permet surtout de faire retomber la tension et les passions comme l’a clamé l’écrivain, député de l’Hérault, Paul Vigné dès 1887 :

La buvette est un lieu sacré des armistices,

Qu’un seul ne peut violer sans que tous le maudissent,

Pour âpre et violent qu’ait été le combat,

Ici, sans hésiter, on met les armes bas.

Revenus et privilèges

Le portefeuille du député n’est guère écorné sur ce zinc. Sans doute y sert-on le café le moins cher de France : 60 centimes ! À comparer à l’indemnité mensuelle brute de chaque élu : 7 209,74 euros depuis le 1er février 2017. Certaines fonctions au sein de l’Assemblée justifient cependant des indemnités complémentaires. Ainsi le président de l’Assemblée touche-t-il 7 267,43 euros supplémentaires chaque mois, les vice-présidents 1 038,20 et les trois questeurs 5 003,57. Comme le président, ces derniers disposent d’un logement de fonction dans l’hôtel de Lassay. Nommés par leurs pairs, discrets, ils tiennent les cordons de la bourse parlementaire : « Aucune dépense nouvelle ne peut être engagée sans leur avis préalable. » Ils ont notamment en charge le dossier de plus en plus brûlant des collaborateurs des députés et la gestion de l’allocation de moyens qui complète la rémunération de base : d’une part, une indemnité représentative de frais de mandat de 5 372,80 euros net ; d’autre part, le fameux crédit affecté à la rémunération des collaborateurs, d’un montant de 9 618 euros. Cette somme permet au député de recruter, comme un employeur, une à cinq personnes, en particulier les attachés parlementaires. 

L’Assemblée nationale est bonne fille. Elle prend aussi en charge les déplacements des députés sur le réseau métropolitain de la SNCF en 1re classe ainsi que 80 déplacements entre Paris et la circonscription par une ligne aérienne régulière. Naturellement, un dispositif spécial est prévu pour les députés d’outre-mer et pour les élus représentant les Français de l’étranger. Au vrai, rien de scandaleux car, chaque semaine, les députés métropolitains retournent prendre le pouls de leurs électeurs et se transforment en assistantes sociales, oubliant parfois qu’ils ne sont pas désignés pour représenter des intérêts particuliers mais pour défendre l’intérêt général.

Même au sein de l’hémicycle, il leur arrive d’oublier leur mission première. Mais ils agissent alors sous le regard de tous. Dans cette enceinte, la transparence est la règle. Tout est public et enregistré par les caméras de La Chaîne parlementaire (LCP). Les présences. Les absences. Les votes pour. Les votes contre. S’il le veut, l’électeur peut tout vérifier de l’activité de son député. 

Rites et usages

Vues du « perchoir », où trône dans l’hémicycle le président de l’Assemblée, les couleurs politiques sont claires : la gauche à gauche, la droite à droite, le centre au centre. C’est là, sans doute, que siégeront les élus de La République en marche !, au milieu de cet espace où l’on n’est pas placé par ordre alphabétique (sauf le premier jour), mais en fonction des décisions du groupe parlementaire auquel on appartient. Privilège des meilleurs orateurs et des parlementaires en vue, on les installe en général au plus près des micros et des caméras, le long des allées. Sans doute pour la rentrée des classes de cette XVe législature de la Ve République, placée sous le signe du renouvellement, bien des élus seront éberlués et devront apprendre les rites et les usages de la maison. Pour cela, ils recevront un kit : un porte-documents rempli des papiers indispensables et de l’épais règlement de l’Assemblée, une écharpe tricolore, ainsi qu’un badge officiel qui leur permettra de se déplacer dans le palais Bourbon. 

Pas facile, cependant de se retrouver dans ses dédales ! Mais les huissiers, recrutés par concours et venus de tous horizons – on y trouve par exemple un ancien ébéniste –, sont là pour guider leurs premiers pas et les aider. Leurs anges gardiens pour cinq ans. Tout comme les 1 300 fonctionnaires (secrétaires, jardiniers, chauffeurs, administrateurs, etc.) qui travaillent dans cette cité de la Loi. Salaire moyen de cette armée de l’ombre : 8 000 euros. Plus de 20 salaires supérieurs à 18 000 euros par mois. Mais, au total, une administration d’une immense discrétion et de grande qualité, très professionnelle, face à des élus souvent mal formés. 

Le carrefour des Quatre-Colonnes

L’administration de l’Assemblée agit dans l’ombre, les députés en pleine lumière. Notamment dans la salle des Quatre-Colonnes, la corbeille de la politique française, symbole de la sphère politico-médiatique. Ici, députés et journalistes se mélangent dans la cohue des sessions et sous le regard des caméras. C’est le royaume des déclarations fracassantes, mais aussi des confidences distillées pour être colportées. Les journalistes y sont pêcheurs d’informations et les députés, selon leur tempérament et leur savoir-faire, auteurs de coups d’éclat, victimes de leur inexpérience ou de leur maladresse, souvent manipulateurs. 

C’est l’entonnoir de l’Assemblée, un passage presque obligé, que l’on sorte de l’hémicycle, de la buvette ou de l’une des huit commissions parlementaires créées par l’article 43 de la Constitution pour approfondir l’examen des textes en formation réduite. 

Nul doute que le nouveau président veuille faire souffler un vent nouveau, notamment de probité, sur ce palais Bourbon, qui, il est vrai, en a vu d’autres. Les dirigeants passent, l’institution demeure. Solide, indispensable à la démocratie. 

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