« Ce n’est pas le Parti démocrate qui fera reculer Trump, c’est la société civile. » En ce moment, cette phrase s’entend de tous côtés aux États-Unis. Elle exprime une défiance envers la capacité du Parti démocrate, minoritaire au Congrès, à imposer sa volonté au nouveau président. Mais elle correspond surtout à un état d’esprit profondément ancré dans ce pays. Les principaux sujets de préoccupation des Américains sont la santé, l’éducation, l’emploi, le revenu, le rapport à l’immigration. Bref, des enjeux « de société ». Or la société, aux États-Unis, ce n’est pas vraiment l’affaire de l’État. Bien sûr, il y a l’impôt fédéral, les principes constitutionnels, la défense nationale… Mais, au-delà, l’État n’est pas chargé de gérer le quotidien de chacun. 

Alexis de Tocqueville l’avait proclamé il y a bientôt deux siècles : le rôle en Amérique de la « société civile », qui voit les individus s’organiser pour défendre leurs droits, lui est constitutif. Car « l’idée des droits n’est autre chose que l’idée de la vertu introduite dans le monde politique », écrivait l’auteur de De la démocratie en Amérique. Certes, les Américains ne sont pas tous des « libertariens » acharnés, adeptes d’une philosophie où l’État doit s’effacer le plus possible, mais cet état d’esprit imprègne profondément les mentalités. La société civile, autrement dit les organismes à but non lucratif (associations, fondations, etc.) comme les milieux intellectuels ou économiques, raffermit la démocratie face aux dérives de type « tyrannie de la majorité » que porte en lui l’État-Moloch. Parallèlement, et contrairement à la tradition française, le pouvoir politique fait systématiquement appel à la société civile. Du professeur de science politique Henry Kissinger (chez Nixon) à Condoleezza Rice – autre politiste – (chez Bush fils), de l’économiste Walt Rostow (chez Johnson) au prix Nobel de physique Steven Chu (chez Obama) en passant par l’incommensurable nombre de banquiers qui ont fourni l’essentiel des secrétaires américains au Trésor, les membres de la société civile ont régulièrement constitué la moitié des administrations américaines.

Depuis les années 1920, agir au nom de la société civile s’est, aux États-Unis, globalement confondu avec le progressisme. L’action s’est beaucoup focalisée dans les années 1950-1960 sur la fin de la ségrégation raciale envers les Noirs, puis s’est élargie aux droits de toutes les minorités (ethniques, sexuelles ou autres). Aujourd’hui, le chantier prioritaire est la régularisation des 11,5 millions de sans-papiers insérés dans l’économie américaine – et que Trump a promis d’expulser. La confrontation est ouverte alors que la principale organisation de la société civile, l’ACLU (American Civil Liberties Union), concentre d’abord ses efforts sur la défense des migrants. Mais la « résistance » à Trump fédère bien d’autres organisations œuvrant notamment dans les domaines de la santé, de l’éducation et de l’environnement. 

SYLVAIN CYPEL

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