C’est notre rêve à tous, posséder une boussole de vie. Un bien beau rêve. On la porterait en gousset au bout d’une chaîne comme nos grands-parents portaient leur oignon. Un souci et, hop ! on la sort et elle nous indique le chemin. Elle nous dira aussi l’heure si on la combine avec une montre.

Un jour sans doute on inventera un tel accessoire. Je prédis que nous serons vite accros, pire que le portable. 

Revenons à la réalité, la boussole de vie n’existe pas et n’existera peut-être jamais, et l’heure que nous indique notre montre n’a aucun sens en soi, elle nous donne seulement un nombre entre un et vingt-quatre. À nous de dire à quoi nous voulons qu’il corresponde.

Cette digression faite, posons-nous la question du jour : que peut le roman ? Nous nous la posons parce que le livre occupe notre vie. 

Éliminons d’emblée 80 % des livres publiés chaque année dont nous n’entendrons jamais parler, parce que la presse n’en a pas parlé, parce que les libraires n’ont pas cru payant de les prendre.

Des 20 % qui restent et dont nous avons entendu parler, retirons immédiatement 80 %, parce qu’écrits par des écrivains que nous savons faiblards, parce qu’ils racontent des choses nulles ou toute autre raison.

Il reste quoi ?… disons quatre livres que nous sommes prêts à lire. Sur les quatre, deux passeront à la trappe avant la page vingt… Trop lourds, trop longs.

Les deux derniers sont des miraculés, pour ça ils méritent d’être lus jusqu’au bout. Ouf, voilà c’est fait. 

Conclusion ? C’est bien, c’est émouvant… mais c’est pessimiste, j’aurais vu une autre fin… ou trop optimiste, dans la vie les choses ne sont jamais aussi roses.

Nous aurons plus de chances l’année prochaine.

Ce petit tour donne une idée du vide dans lequel se débat la littérature. Chacun fera son bilan. En cinq décennies de lecture intensive, je peux au maximum isoler une centaine de livres dont je pourrais dire : selon moi ces livres ont certainement été utiles à l’humanité, ils ont introduit en elle du sens, de l’intelligence des choses et du monde, de la compréhension de soi et des autres.

Là il me vient à l’esprit la réponse faite par le calife Saladin au roi de Jérusalem, Baudouin IV dit le Lépreux, qui lui demandait ce que Jérusalem représentait pour lui, à la prise de laquelle il avait consacré tant d’efforts et de valeureuses vies. Il lui dit : Rien !… et après un temps de réflexion il ajouta : et tout !

Je dirais la même chose de la littérature : elle ne sert à rien, ne peut rien, elle est un immense gaspillage (je pense au temps qu’elle nous fait perdre et à tous ces beaux arbres qu’on abat partout sur terre pour produire des livres qui iront encombrer le monde). Et la preuve est que l’immense majorité de la population du monde n’a jamais lu un livre, y compris dans ces pays où la littérature a un statut en or. Mais je dirais aussi qu’elle est essentielle quand je pense à cette centaine de livres qui ont transfiguré le monde (en bien ou en mal). Je pense à ces livres magiques à l’origine des grandes religions. Le Pentateuque, cœur battant des trois religions monothéistes, dont les livres fondateurs sont d’éternels best-sellers (Torah, Bible, Coran). Je pense à ces livres qui ont fondé des idéologies, qui ont bouleversé l’ordre mondial : Le Capital de Karl Marx, l’horrible Mein Kampf d’Adolphe Hitler, L’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert.

Dans la fiction, on lira toujours avec plaisir et profit les éternels immortels Dostoïevski, Shakespeare, Tolstoï, Faulkner, Garcia Marquez, Camus, Andersen, Céline, Dante, Poe, etc. Que chacun fasse sa liste.

La liste contemporaine est plutôt… vide et décevante. Il y a des trucs mais on ne peut pas dire qu’ils sont des chefs-d’œuvre éternels. Ils durent une saison. Il faut pourtant renouveler le stock, on ne peut pas continuer à toujours lire les mêmes éternels chefs-d’œuvre. C’était le message à passer. Affaire à suivre. 

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