Contrairement à la plupart des anticipations, la présidentielle française qui vient de s’achever aura très peu tourné autour des questions d’identité, de rapport à l’islam, de récits nationaux concurrents. Rien de comparable en tout cas à ce qu’on avait pu observer en 2007, lorsque Nicolas Sarkozy, dans les derniers mètres de sa campagne, avait tenté de dérober la Pucelle d’Orléans au Front national, empruntant à ce dernier son imaginaire, ses mots mêmes. La neutralisation précoce du candidat François Fillon, auteur à l’automne d’un opus au titre évocateur, Vaincre le totalitarisme islamique, aura sans doute favorisé la chose. Le manque d’appétence pour ces thèmes-là d’Emmanuel Macron aussi, même si le nouveau président avait, à tout hasard, placé quelques assurances vie du côté du Puy du Fou à l’été 2016, et gratifié la presse de considérations monarchistes vagues inspirées de l’historien Ernst Kantorowicz.

À l’approche de cette élection, les grands historiens du pays s’étaient pourtant préparés à une bataille rangée sur ces questions. Ainsi le nouveau professeur au Collège de France, Patrick Boucheron, avait-il lancé en janvier dernier une Histoire mondiale de la France aux options idéologiques peu dissimulées, puisqu’il s’agissait clairement d’offrir une alternative à l’histoire identitaire. De cesser de produire du récit national prêt à l’emploi pour les politiques. De se décentrer, en somme, pour s’habituer à ne pas appréhender la France comme le cher pays de notre enfance, mais comme une entité au milieu des autres, entièrement traversée par l’histoire des autres, et devant au final peu de chose au « sacre de Clovis », entre autres ponts aux ânes. Une telle démarche historiographique ne pouvait que susciter l’ire de Pierre Nora, maître d’œuvre des Lieux de mémoire, qui instaura au milieu des années 1980 le retour d’une histoire monumentale, participant pleinement à la construction d’un récit national français rénové. 

Ainsi ce dernier assassinera-t-il littéralement la démarche de Boucheron et ses troupes dans une tribune publiée en pleine campagne par L’Obs. Soupçonné de vouloir insister sur les apports à la France « du monde extérieur, colonial et musulman », le coordinateur de l’Histoire mondiale de la France se verra même accusé par son confrère, en faisant démarrer l’histoire de France par la grotte Chauvet plutôt que du côté des Gaulois, de vouloir affirmer l’importance, au fondement même de notre nation, « d’une humanité métisse et migrante ». 

À une histoire bien de chez nous se verrait donc opposée par Boucheron, nouvelle star de la scène intellectuelle de gauche, une caricature d’histoire de France progressiste, fondue d’exotisme, prétendument avide de se dissoudre dans la grande soupe mondialiste. Las, les candidats à la présidentielle renoncèrent, eux, à se lancer dans cette bataille des récits nationaux. Faute de munitions culturelles pour la plupart, faute de vraies convictions aussi. On assista bien à une espèce de sacre, le 7 mai dernier, mélangeant symboles royaux, maçons et mitterrandiens, mais tout cela sans grande conviction, même de la part de ses organisateurs. Une espèce de couronnement à l’esthétique Da Vinci Code, dont on peinerait à indiquer la signification générale. Les affrontements autour de l’histoire de France retrouveront peut-être un public. Pour l’heure, on peut le regretter, ils demeurent des querelles de spécialistes.

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