Quand j’ai commencé à suivre la campagne de Jean-Luc Mélenchon il y a un peu plus d’un an, j’avais en tête les nombreuses insultes qu’il envoie à la figure des journalistes et je me suis dit « on verra bien ». Mais quelle ne fut pas ma surprise, lors de mes premières interviews, écrasée entre des nuées de micros, de gardes du corps ou de cameramen, de m’apercevoir qu’il n’était plus vraiment agressif. Non, pas d’insultes. En revanche, j’ai eu affaire à un autre Jean-Luc Mélenchon, celui qui  « met des vents ». Dès qu’une question ne lui plaît pas, il détourne la tête, faisant mine de ne pas l’avoir entendue. Comme ce matin du 24 mars 2017, au salon du livre de Paris où il vient dédicacer son nouvel ouvrage De la vertu. Justement, les affaires polluent la campagne électorale. François Fillon accuse même l’Élysée d’être à l’origine des révélations sur l’emploi présumé fictif de sa femme. « M. Mélenchon, une réaction au livre Bienvenue place Beauvau ? Y a-t-il un cabinet noir à l’Élysée ? » Regard exaspéré, mouvement de la tête et petit geste de la main comme pour dire « du balai ». Nous insistons : « François Fillon est-il tombé dans la théorie du complot ? » C’est peine perdue, surtout avec les hurlements de son attachée de presse, Juliette Prados : « Astrid, Astrid ! pas de questions ! » Pas de questions ? Mais alors pourquoi sommes-nous là ?

Ignorer les journalistes, une stratégie que Jean-Luc Mélenchon assume totalement, même quand on se retrouve en petit comité. Comme au mois de juin 2016, dans les gradins du 37e congrès du Parti communiste. « M. Mélenchon, voudriez-vous venir dans notre matinale lundi ? » Un regard appuyé, désagréable. Puis il détourne les yeux, sans dire un mot. Son attitude me laisse surprise. J’ai compris par la suite qu’il s’agissait d’une stratégie délibérée et non d’un simple mouvement d’humeur vis-à-vis d’une journaliste qu’il ne connaissait pas. Sa principale conseillère en communication, Sophia Chikirou, l’a assumée un peu plus tard de manière transparente : il s’agit de « contourner » certains médias traditionnels pour s’adresser « au peuple » directement.

Tout s’est éclairci à la convention programmatique du candidat organisée dans une ancienne filature près de Lille en octobre 2016. Un millier d’insoumis, dont certains tirés au sort, doivent définir les priorités du programme présidentiel du candidat. Sur scène, l’une des responsables du programme, Charlotte Girard, chauffe la salle : « Nous sommes en direct sur YouTube. Nous avons réussi à être notre propre média ! » Retransmettre en direct tous les meetings de Jean-Luc Mélenchon pour échapper aux coupes des médias traditionnels, voilà une invention à laquelle peu de candidats ont pensé… Et il faut dire que cela a plutôt bien fonctionné. Chaque vidéo postée par Jean-Luc Mélenchon obtient au minimum deux cent mille vues, sept cent mille pour le premier meeting en hologramme de février 2017. Des chiffres impressionnants et un moyen de toucher un autre public, plus jeune, qui tombe par hasard sur les interventions du candidat en surfant innocemment sur la toile. Mais s’il snobe les reporters de terrain, Jean-Luc Mélenchon est loin de bouder tous les médias : Ruquier, son « chouchou » chez qui il va régulièrement ; Gala, qu’il a fait rentrer dans sa cuisine pour expliquer la recette de sa salade au quinoa et faire passer dans le même temps un message sur la consommation excessive de viande. Ouest-France, 20 minutes, Bourdin : la stratégie du contournement a ses limites quand il s’agit de reprendre la main dans l’opinion ou d’élargir sa base électorale.

L’équipe du candidat n’a en revanche pas du tout la même attitude avec les journalistes. Ils sont même parfois demandeurs. « Quand est-ce que vous m’invitez sur LCP ? » m’a interrogée Manuel Bompard, directeur de la campagne. « On ne vous voit plus, on pourrait faire quelque chose ensemble… » insiste un autre auprès de Libération, journal pourtant blacklisté par Jean-Luc Mélenchon depuis 2013. L’équipe de campagne ne manque pas un article, pas une phrase prononcée par un journaliste à l’antenne de n’importe quelle émission qui évoque de près ou de loin Jean-Luc Mélenchon. Ils ont mis en place un système de veille militante pour ne rien rater des émissions politiques et s’organisent sur les réseaux sociaux pour répliquer et tout faire remonter au staff de campagne.

Ce qui nous vaut souvent des commentaires, à peine sortis de plateau : « Votre compte rendu était unilatéralement la vision du PCF », m’écrit Alexis Corbière par SMS après un papier qui me semblait pourtant équilibré. « Qu’est-ce que c’est que ce titre ? » fait-il encore remarquer régulièrement aux journalistes de certains hebdomadaires. Jean-Luc Mélenchon lui-même écrit parfois aux journalistes de presse écrite après un article qu’il juge à charge. Pour la France insoumise, le rapport aux médias est politique. Nous sommes l’incarnation du système, des ennemis. On est avec eux ou contre eux. Ils distribuent les bons et les mauvais points. « Ils sont bien, en fait, France Info », juge Charlotte Girard, au cours d’une émission sur leur propre webradio, baptisée Les Jours heureux, en apprenant l’existence d’une vidéo qui récapitule, sans trop de critiques, le programme de son candidat. Pourtant, au soir du premier tour de l’élection présidentielle, force est de constater que cette stratégie a démontré ses limites. Au restaurant du Xe arrondissement de Paris où Jean-Luc Mélenchon a réuni ses soutiens, l’un de ses militants le reconnaît : « On a fait une excellente campagne sur le web, mais la France, ce n’est pas que le web. » 

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