Une ère nouvelle a commencé, placée sous le signe du dégagisme. Après tous les bouleversements qui auront émaillé cette campagne sans pareille, le premier tour de l’élection présidentielle vient d’ouvrir une page inédite de notre histoire politique. Pour la première fois depuis 1958, gauche et droite, bien que représentées chacune par un candidat victorieux aux primaires, ont été sèchement éliminées. Une sanction cinglante pour les partis de gouvernement semblables aux animaux de la fable frappés par la peste. Autre première, les finalistes Emmanuel Macron et Marine Le Pen sont les champions de comités de soutien à leur dévotion, en aucun cas de partis forts et très structurés. L’époque s’achève où un prétendant à l’Élysée ne pouvait concourir sans être adoubé par une puissante organisation avec ses militants, ses réseaux, ses moyens financiers. Raymond Barre et Édouard Balladur l’apprirent jadis à leurs dépens. Enfin, si on additionne les scores de la candidate du FN et de Jean-Luc Mélenchon, les extrêmes représentent plus de 40 % de l’électorat mobilisé le 23 avril. C’est dire combien est profond le désarroi de millions de Français qui vivent dans l’inquiétude du lendemain, la crainte du déclassement et de la précarité, avec un sentiment aigu d’exclusion, la conviction d’être méprisés et de ne pas être entendus d’une classe politique nantie, assimilée à un syndicat de défense des élites. 

À l’évidence, Marine Le Pen réunira autour de son nom et de son programme de fermeture une grande partie de ces électeurs en colère. Il ne serait pas surprenant que certains des électeurs de la France insoumise transportent leur bulletin de vote d’un extrême à l’autre, afin de barrer la route à celui qu’ils tiennent pour un avatar de François Hollande doublé d’un représentant du grand patronat et de la finance mondialisée.

Le deuxième tour qui se profile laisse sans aucun doute un boulevard au candidat d’En Marche ! Mais en marche vers quoi ? et avec qui ? S’il l’emporte le 7 mai prochain, Emmanuel Macron devra prouver sa capacité à changer le verbe en actes, le lyrisme en pragmatisme.

« Je gagne mes batailles avec les rêves de mes soldats », aimait à dire Napoléon. Ce dont rêvent nos concitoyens – au-delà d’un travail pour ceux qui n’en ont pas –, c’est de retrouver la confiance, la foi dans le politique et ses capacités, que les mandats de Sarkozy et de Hollande ont cruellement ébranlée. Bien des Français ont perdu le sentiment qu’ils pouvaient prendre en main leur propre destin sans être entravés par une caste de dirigeants surtout soucieux de leur propre sort. On l’a vu : si cette campagne a intéressé, elle a suscité chez les électeurs des sentiments de rejet, voire d’indignation, comme si nos gouvernants ne savaient plus trouver les chemins nécessaires de la cohésion sociale. Trop d’exclus, de pauvres, de chômeurs, trop d’inégalités, trop de freins à l’ascenseur social. 

Le 23 avril, plus qu’une volonté de couper des têtes, les Français ont exprimé leur envie de changer d’air, de changer d’ère. Une volonté de ne plus faire de la politique une « profession réglementée », selon l’expression d’Emmanuel Macron. À travers le vote Le Pen, ils ont dit leur besoin de sécurité qui se confond, terrible illusion, avec la tentation du repli sur soi. S’ouvrir ou se fermer ? « La réponse est le malheur de la question », écrivait Romain Gary. Le 7 mai, il faudra pourtant répondre. 

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