Depuis un siècle, notre vie politique s’est cristallisée dans l’opposition entre le monde du travail tel que l’a construit la révolution industrielle, et le monde des possédants – terre, avoirs, statuts… Cette opposition permettait de définir deux camps, l’un plus proche du marxisme, l’autre de l’Église catholique. Cette révolution industrielle se déroulant principalement dans les cadres nationaux jusqu’aux années 1960-1970, nos cultures politiques ont eu le temps de s’en imprégner et de l’inscrire dans nos fondamentaux culturels. Mais la révolution numérique et collaborative est venue depuis rebattre les cartes. L’information est devenue planétaire, le réchauffement climatique évident. Et la mondialisation numérique nous renvoie chaque jour à nos isolements et fragilités individuels. 

En même temps, du fait de cette même révolution collaborative, la création de richesse se concentre dans les deux cents plus grandes métropoles, et la Toile rend évidentes à chacun les « qualités » de sa position géographique : pays du Sud sans métropoles, petites villes, villages et « quartiers » se sentent ainsi délaissés, mis à l’écart et au rebut, même si, localement, l’économie et la qualité de vie peuvent être bonnes. Et cette mise à distance à l’intérieur des nations renvoie, dans l’Occident hier dominant, au sentiment de déclassement des nations elles-mêmes et, partout, à l’affaiblissement des frontières qu’entraîne la civilisation numérique, l’immigré n’étant que la figure incarnée – souvent sombre – d’une Toile sans limites. 

Alors la droite et la gauche, telles qu’elles ont été définies en 1789, se trouvent devoir digérer cette nouvelle révolution. La lutte capital-travail se télescope avec la lutte métropole-hors-métropole. La Toile ne fait ni identités ni classes sociales. Alors droite et gauche se réduisent par tranches successives comme un salami à l’heure de l’apéro. Et les tranches se répartissent peu à peu entre les nouveaux camps : les bâtisseurs de murs et de frontières nourris d’une identité étriquée et mythologique, et ceux qui cherchent une nouvelle voie pour un monde ouvert qui doit s’inventer de nouveaux repères – en particulier pour ceux qui ont moins. Et c’est ainsi que la gauche anticapitaliste se trouve affronter la gauche progressiste, comme la droite dure, l’extrême droite. L’avenir de cet affrontement est entre nos mains et, comme souvent, dans celles de la France.  

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