« Neuf fois sur dix, un révolutionnaire n’est qu’un arriviste avec une bombe dans la poche. » On connaît la phrase d’Orwell, tellement caractéristique des sarcasmes réservés à la gauche anticapitaliste, mouvance qui dissimulerait forcément, derrière d’obscurs différends de doctrine, de simples querelles d’ego et autres ambitions inavouables. Le propos est plein d’esprit, comme toujours avec l’auteur d’Hommage à la Catalogne, mais est-il juste pour autant ? À certains égards, oui, tant il est vrai qu’il n’y a guère qu’un éditorialiste du Figaro pour croire que trotskistes, CGTistes, anarchistes et autres agités en « iste », sont une seule et même famille.

En réalité, tout ce petit monde s’entre-déteste avec une violence parfois supérieure à celle qu’il déchaîne contre l’autre camp. Les apparatchiks du PC exècrent les mélenchonistes, Lutte ouvrière refuse de marcher avec le NPA, le Comité invisible canarde le philosophe Alain Badiou, et réciproquement bien sûr. La liste de ces querelles inconnues du public serait interminable à dresser. Sans compter le fait qu’on en trouve aussi certains dans ces milieux-là pour rechercher constamment la broutille qui, rendant le dialogue impossible, dispensera utilement d’agir. Pour autant, faut-il invoquer le « narcissisme des petites différences » théorisé par Freud pour pointer le fait que, plus les gens sont apparemment proches, plus leur besoin de dissembler se fait sentir ? À certains égards seulement, car tout cela n’est au fond que l’écume par rapport aux vraies raisons qui font qu’à gauche la doctrine est l’objet de querelles continuelles.

Et la principale de ces raisons, c’est sans doute celle-ci : l’adhésion au capitalisme paraît si naturelle, celui-ci est si universellement régnant depuis tant de siècles, et semble à ce point l’unique voie pour organiser les sociétés humaines, qu’il faut soulever toutes les puissances du verbe, tous les sortilèges de la pensée, pour ne serait-ce que commencer à faire exister une autre vision du monde. D’un côté, l’évidence brutale imposée par l’Histoire ; de l’autre, la vision d’une société égalitaire n’existant au départ que comme chimère, et donc forcément sujette à contestation, à remise en cause, à négation complète même. C’est la raison pour laquelle les idées seront toujours plus âprement discutées à gauche qu’à droite, car elles sont plus difficilement conquises, plus malaisées à faire exister autrement que sous la forme d’un consensus instable.

Ainsi, pour conclure sur la présidentielle 2017 qui est dans tous les esprits, nous nierons pour notre part que la fracture qui sépare aujourd’hui la gauche radicale – fût-elle représentée par un ancien socialiste comme Jean-Luc Mélenchon – de la gauche socialiste – fût-elle représentée par un prétendu radicalisé comme Benoît Hamon – soit seulement le fait de « deux coqs qui font passer leurs intérêts avant les nôtres », ainsi qu’a pu l’écrire l’excellent Denis Robert. En vérité, ces deux gauches-là n’ont plus rien à se dire car elles n’ont réellement plus grand-chose en commun. L’une a définitivement acté son ralliement à l’Europe néolibérale, l’autre s’efforce d’aller à rebours de trente ans de capitulation sociale. L’une s’est peu ou prou ralliée à l’ordre capitaliste universellement régnant que nous évoquions tout à l’heure, l’autre continue de brandir contre celui-ci les puissances du verbe. Leur unique ressemblance pourrait bien désormais être, hélas, leur commune faiblesse face à la montée des périls.  

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