Dans cette campagne présidentielle, alors que la droite joue la carte du marché libéral, de l’identité et des boucs émissaires, la gauche se focalise sur une vision écologique du monde. « C’est un grand changement », estime Daniel Boy, directeur de recherche émérite au CEVIPOF (Centre de recherches politiques de Sciences Po). « Depuis les années 1970, la gauche sécessionniste sous-traitait l’écologie aux Verts, explique-t-il. En interne, au PS, il était très compliqué de faire passer ces idées et on s’arrangeait toujours au moment des élections nationales pour faire une alliance, comme en 1997 ou en 2012. Le Parti communiste, pour sa part, a toujours vu les Verts comme les tenants d’un malthusianisme écologique. » Si l’écologie est devenue un marqueur de la gauche, il est encore trop tôt cependant pour considérer qu’elle en est le carburant.

Il reste que le premier à s’être imprégné des valeurs de l’écologie a été Jean-Luc Mélenchon, le fondateur de la France insoumise : en 2012 son discours manifestait déjà cette sensibilité environnementale, qui reflète une conviction personnelle cultivée depuis une dizaine d’années. Benoît Hamon, pour sa part, s’en est emparé lorsqu’il était ministre de l’Économie sociale et solidaire. « Il incarne cette nouvelle génération de gauche qui ne sait plus à quel saint se vouer », explique le sociologue Erwan Lecœur, spécialiste de l’écologie politique. « Depuis 2002, le PS reste un syndicat d’élus ; l’écologie est utile pour rallier un électorat dont les représentations sociales ont bougé sur ces questions. » Selon lui, l’écologie politique est surtout orpheline d’un candidat qui aurait rassemblé largement à gauche, et même au-delà – à l’instar de Nicolas Hulot, figure non marquée politiquement.

En attendant, l’absence historique d’un candidat écologiste à l’élection présidentielle est aussi le symbole d’un transfert : « Les écologistes sont souvent perçus comme des donneurs de leçons, alors que Hamon, à l’image de Hulot, porte l’écologie avec l’enthousiasme des nouveaux convertis, un peu comme Mitterrand au Congrès d’Épinay, en 1971, s’emparait des références et du discours de gauche. Son approche est portée par les valeurs de l’économie sociale et solidaire et par les initiatives locales. Mélenchon en parle aussi très bien, mais sa grandiloquence et son approche un peu rigide et planificatrice ont tendance à effrayer les écologistes », estime le sociologue.

Mais si l’on regarde quels sont les candidats soutenus par les représentants historiques de l’écologie politique, une autre configuration se dessine. Mélenchon a obtenu, il y a quelque temps déjà, le soutien de ceux qui, comme Martine Billard, ont quitté Europe Écologie-Les Verts (EELV) pour le Parti de gauche, et, plus récemment, du député Sergio Coronado, qui a été porte-parole d’Eva Joly lors de la campagne présidentielle de 2012. Les cadres d’EELV, tels Cécile Duflot et Yannick Jadot, soutiennent le candidat du PS Benoît Hamon. En revanche, des figures comme Daniel Cohn-Bendit et Jean-Paul Besset, deux anciens députés européens, sont allés renforcer les rangs d’Emmanuel Macron – aux côtés de l’ancienne ministre de l’Environnement Corinne Lepage ou de François de Rugy, ancien Vert qui s’est présenté à la primaire de la gauche. Pour Erwan Lecœur, il s’agit là d’une stratégie pragmatique : « Macron vient de la gauche et on ne sait pas où il va, mais il a réussi une OPA sur le récit de cette élection, au point d’apparaître comme le dernier rempart du système... Certains écologistes se disent qu’il est important de pouvoir agir et de sauver la partie qui pourrait être perdue une bonne fois pour toutes ! »

Une chose est sûre : on ne pourra évaluer la force de cette ligne de démarcation qu’une fois la présidentielle passée. « Si Macron gagne, l’opposition à gauche sera sans doute très écolo », estime Daniel Boy. Sans oublier, non plus, qu’adopter une politique écologiste a des conséquences sur la diplomatie, la solidarité Nord-Sud, l’immigration... De quoi, là aussi, réfléchir en termes d’identité.  

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