Quels éléments peuvent aujourd’hui nous aider à évaluer la corruption des élus ?

Il faut d’abord prendre en compte le grand nombre d’élus dans notre pays : étant donné la superficie du territoire et le nombre de ses habitants, la France est, proportionnellement, le pays au monde qui en a le plus, quel que soit leur mandat. Leur nombre n’a cessé d’augmenter depuis 1789 pour atteindre, selon les derniers chiffres, 618 384 mandats électifs. Nous comptons environ 573 204 conseillers municipaux (maires compris). Un électeur sur 77 fait donc partie d’un conseil municipal. Sans compter le nombre exact d’élus intercommunaux : la Direction générale des collectivités territoriales (DGCT) du ministère de l’Intérieur est incapable d’en fournir un état précis – début 2014, le chiffre officiel, approximatif, était de 38 000 élus intercommunaux. En ce qui concerne le nombre de parlementaires, nous sommes en tête avec 577 députés et 348 sénateurs. Le ratio est donc d’un parlementaire pour 49 000 électeurs, et pour 70 000 habitants. Si on compare avec les États-Unis, qui ont cinq fois plus d’habitants et dont la Chambre des représentants dispose de beaucoup plus de pouvoir que notre Assemblée nationale, les Américains ont proportionnellement six fois moins d’élus que nous. Nous avons 30 % de parlementaires de plus que l’Allemagne, qui a pourtant, elle aussi, plus d’habitants que nous. Nous dépassons aussi largement le Royaume-Uni, l’Espagne, etc. Quant aux sénateurs, nous en possédons presque autant que les États-Unis et l’Allemagne réunis.

Qu’en est-il des indemnités ?

La France est le pays d’Europe où chaque député en reçoit le plus en nombre, et pour le montant total annuel le plus élevé : 162 146 euros contre 139 644 euros pour un député allemand et 105 188 euros pour leur homologue britannique. Quand on sait que les indemnités d’élus ont été instaurées en 1789 pour aider les députés de province à subvenir à leurs besoins à Paris, cela fait réfléchir… Mais le pire est de constater que plus de 200 sénateurs ont acheté leur maison personnelle avec l’indemnité représentative de frais de mandat, ou que 30 % des parlementaires ont eu affaire au fisc ou à la justice… Sans même parler des abus et des privilèges, comment peut-on s’exonérer de cotisations sur les caisses de la Sécurité sociale ? Comment peut-on toucher 1 200 euros de retraite après cinq ans de mandat ?

De fait, une grosse minorité d’élus peuvent être qualifiés de « pourris » et une grosse minorité d’autres ne disent rien. Bien sûr, il y a des élus honnêtes, mais plus on monte dans la pyramide et moins ils le sont : le système les oblige à ne pas l’être en raison d’un net glissement entre milieu économique et milieu politique.

Comment cette corruption affecte-t-elle la santé de notre démocratie ?

Le plus gros risque est avant tout celui de favoriser l’abstention, avec celui de creuser le fossé entre ces deux catégories d’individus, qui s’éloignent de plus en plus : les classes populaires d’un côté, les élites de l’autre. À titre d’exemple, aujourd’hui 82 % des sénateurs et députés sont des cadres ou exercent des professions intellectuelles, alors que cette catégorie ne représente que 13 % de la population active.

La pression du milieu économique sur le politique nous plonge aussi de plus en plus dans une société politico-mafieuse. La démocratie n’existe plus dans ces conditions : il faut se battre pour la maintenir, car tout est fait pour qu’on ne vote plus par conviction mais par élimination. 

Que voulez-vous dire ?

Quand on se penche sur les suffrages, on constate que la majorité des élus ne le sont, en moyenne, qu’avec moins de trois électeurs sur dix inscrits. Lors de la présentation des résultats électoraux au public, ces chiffres devraient être accompagnés du pourcentage d’inscrits ayant voté, ce qui permettrait de relativiser la légitimité représentative de certains élus. D’autant plus que, de 2014 à 2016, on évalue à 16 % le taux de présence à l’Assemblée des députés pour l’ensemble des votes et des amendements…

Mais le Français doit aussi réveiller sa conscience, car pour l’instant nous préférons aussi l’élu truand à l’élu intègre… L’élu truand sait aider lorsqu’il s’agit d’obtenir une place en crèche, de faire sauter un procès-verbal, de passer un coup de fil pour l’attribution d’un appartement ! Les électeurs ont donc une part de responsabilité.

Quelles solutions suggérez-vous pour lutter contre cette corruption ?

Une solution serait le vote obligatoire (tel qu’il existe pour l’élection des sénateurs) : cela permettrait de mettre un terme à l’abstention, de donner un pouvoir politique au vote blanc, d’élire avec plus de votants et d’améliorer la représentativité des élus. À l’image des élections syndicales ou prud’homales, les élections pourraient avoir lieu en semaine. Il faudrait aussi un maximum de deux mandats : cela faciliterait ensuite le retour à la vie civile. Il est également crucial d’introduire plus de confiance dans la vie publique : c’est pourquoi je milite pour une transparence totale. Dans cette perspective, la pression populaire peut jouer un rôle clé : la pétition que j’ai lancée, et qui a récolté plus de 150 000 signatures en 2016, a permis l’adoption, à l’unanimité des députés, de la proposition de loi instaurant une obligation de casier judiciaire vierge pour les candidats à une élection présidentielle, législative ou sénatoriale. Votée à l’Assemblée nationale le 1er février 2017, elle doit encore passer devant le Sénat en juin, mais cette avancée est déjà historique.

Proposez-vous d’autres mesures ?

En parallèle, il faudrait mettre en place des justificatifs obligatoires pour la délivrance de l’indemnité représentative de frais de mandat (IRFM) et exiger un non-cumul des frais de représentation avec certains avantages. Il faudrait aussi revoir un certain nombre de choses pour que la peur change de camp et que nos représentants restent locataires, et non propriétaires, de leur mandat. Un élu qui est condamné devrait l’être avec circonstance aggravante, et non atténuante. Comme les procédures durent longtemps, les peines devraient être exemplaires et non symboliques. Il serait enfin nécessaire de revoir la protection fonctionnelle des élus, qui leur permet de ne pas payer les frais d’avocat. À quand un alignement des peines sur le régime commun en matière de fraude dans la déclaration de patrimoine de l’élu ? À quand un alignement des régimes de retraite des parlementaires sur le régime des salariés du privé ? Pourquoi ne pas limiter à l’âge de 67 ans l’exercice de leurs fonctions ? Telles sont quelques-unes des propositions qu’on peut faire aujourd’hui pour changer la donne.  

Propos recueillis par Anne-Sophie Novel

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