Même si les carnets de bord des navigateurs polaires nous apportent des informations locales sur l’extension de la banquise pendant les derniers siècles, ce n’est qu’avec l’avènement de l’imagerie satellitaire, au cours des années 1970, que les scientifiques ont pu se faire une idée précise des variations d’étendue de la banquise.

Pour comprendre son évolution, commençons par une brève description de ses caractéristiques : l’océan polaire s’étend en été sur 4 millions de kilomètres carrés (soit 7 % de la taille de notre planète), mais en hiver la banquise qui le recouvre occupe en moyenne 15 à 16 millions de kilomètres carrés (soit vingt fois la France). « Quand on regarde les données sur le long terme, on se rend compte que la fonte de la banquise s’est accélérée depuis 1996, et que 2012 fut l’année la plus catastrophique, avec une superficie à la fin de l’été de 3,6 millions de kilomètres carrés », explique Kévin Guerreiro, doctorant-chercheur au LEGOS (Laboratoire d’études en géophysique et océanographie spatiales), à Toulouse.

Si les techniques de mesure par satellite de l’extension de la banquise sont bien rodées, celles qui permettent d’évaluer son épaisseur sont plus récentes et toujours en cours de perfectionnement – la première estimation à grande échelle date de 1994, et on ne dispose de valeurs moyennes pour l’ensemble de l’Arctique que depuis 2003. Son épaisseur, en moyenne de 2 mètres, s’est réduite de 20 à 30 centimètres entre 2003 et 2013, d’après les données fournies par les satellites de la NASA (l’agence spatiale américaine) et de l’ESA (son équivalent européen). Sur ce point, les observations sont là aussi complexes tant le nombre de facteurs en interaction est varié, à commencer par le climat polaire qui, en hiver, correspond à une nuit très froide (pouvant atteindre - 50 °C) et, en été, se traduit par un jour continu et un temps humide avec des températures parfois supérieures à 0 °C. À noter que la banquise la plus épaisse ne se situe pas au centre du pôle mais vers les côtes, au nord du Groenland et au nord de l’Archipel arctique canadien.

Mais comment expliquer la diminution d’étendue et d’épaisseur de la banquise ? « Par trois grands facteurs clairement identifiés par les scientifiques, sans que la science puisse encore dire lequel d’entre eux a le plus d’importance », répond le doctorant en listant :

Le changement de la circulation atmosphérique
Ce dernier a connu un renversement important au début des années 1980. « Ce changement, explique le chercheur, a eu pour conséquence de modifier la recirculation de la banquise à travers l’océan Arctique et a ainsi modifié le schéma d’épaississement de la banquise. »

Le réchauffement de l’atmosphère
La zone arctique s’est réchauffée deux fois plus vite que le reste du globe. Conséquence : la période de fonte de la banquise s’est allongée d’environ 20 à 30 jours au cours des trente dernières années, au rythme de 6 à 10 jours par décennie.

La diminution de la surface de la glace pérenne (ou multiannuelle)
Cette glace qui survit d’une année sur l’autre est généralement plus épaisse que la banquise saisonnière. Sa diminution entraîne d’année en année l’amincissement de la banquise, ce qui engendre de nouvelles conséquences. « Une glace plus fine se déplace plus rapidement, sous l’effet du vent, des conditions atmosphériques... Et elle est exportée plus facilement hors de l’Arctique », précise Kévin Guerreiro en insistant sur le fait que ces trois facteurs se nourrissent les uns les autres.

Et là est le problème : les perturbations initiales sont toujours suivies d’autres perturbations qui en augmentent ou en réduisent les effets. « Quand le climat change, le système s’emballe. Il est difficile de faire des prévisions », poursuit le scientifique pour qui « cette information est complexe à gérer, d’autant que la variabilité interne de la banquise est naturellement très rapide ». Une chose est sûre : les observations réalisées sur une période de cinq à dix ans ne permettent pas de différencier la variabilité naturelle des effets provoqués par l’activité humaine. Sur une période de vingt ans en revanche, le poids de l’activité humaine est plus facilement identifiable. Le chercheur au LEGOS indique ainsi que « sur la baisse de superficie qu’on observe depuis trente-huit ans, on est à peu près sûr que la variabilité n’est pas seulement naturelle ».

Selon certains des modèles élaborés, il n’y aura plus de banquise à l’été 2100. Pour d’autres, plus pessimistes, la disparition estivale sera totale entre 2030 et 2050. « Cette mouvance des modèles est principalement due au fait que les scénarios anthropiques sont fortement variables et qu’il est difficile de savoir à l’avance comment l’homme va se comporter dans les prochaines décennies », relève Kévin Guerreiro... Que se passera-t-il alors ? Ça ne sera pas la fin du monde, mais les rétroactions vont s’accentuer et les conséquences sur le climat (fonte des glaciers et calottes, hausse du niveau moyen des mers, sécheresses, inondations, feux de forêts, etc.) n’en seront que plus fortes. « Si la banquise disparaît complètement, on sera probablement en train de prévoir quand elle va revenir... » ironise le scientifique. 

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