Par ses hauts degrés de latitude et son immensité, l’Arctique a alimenté les mythes construits autour des peuples du Grand Nord dès l’Antiquité et le Moyen Âge. Qui sont ces hommes capables de survivre dans des conditions aussi hostiles ? Cette question est à l’origine des premières explorations des régions arctiques par les Européens et les Russes, menées tout d’abord par des commerçants et des religieux. Les scientifiques s’y sont ensuite aventurés, curieux d’en savoir davantage sur le mode de vie de ces peuples inuit. Tout en portant un intérêt aux populations existantes, ils ont rapidement cherché à en connaître l’origine : la cinquième expédition de Thulé (1921-1924) conduite par Knud Rasmussen est devenue l’emblème de ces investigations.

Le constat partagé est simple : il existe aujourd’hui sur les terres arctiques un seul peuple inuit constitué de 160 000 personnes, que l’on retrouve en Alaska, au Canada et au Groenland. Sur les terres eurasiatiques, on trouve d’autres populations comme les Sâmes en Scandinavie (60 000 personnes) ou les Iakoutes en Sibérie (50 000 personnes), sans compter d’autres « peuples » moins nombreux. Peu de liens unissent ces populations, en dépit d’une relative homogénéité culturelle et linguistique, étant donné les grandes distances qui les séparent. La Sibérie semble avoir été peuplée depuis plus de 27 000 ans ; le nord de la Scandinavie depuis plus de 10 000 ans ; l’Arctique nord-américain depuis 4 500 ans, bien que l’Alaska central le soit depuis plus de 12 000 ans. Si les premiers échanges entre Inuit et Européens datent des temps médiévaux, ils n’ont concerné qu’une zone circonscrite, la côte ouest du Groenland où les colons norrois (ou vikings) ont tenté de s’implanter entre le Xe et le XIVe siècle, avant de renoncer. Depuis le XVIe siècle, de nombreux explorateurs ont cherché le passage entre l’Asie et l’Amérique et connu bien des déboires en s’engouffrant dans le passage du Nord-Est pour les Russes, dans celui du Nord-Ouest pour les Européens. Dès 1670, les négociants euro-canadiens se sont enfoncés dans l’intérieur des terres pour installer de plus en plus au nord les postes de traite servant à se procurer des fourrures auprès des Amérindiens. Ce commerce s’est ensuite étendu aux territoires inuit. À partir du xviiie siècle, les relations entre Inuit et Européens commencent à devenir suivies et durables. 

Ces interactions n’ont pas toujours été empreintes de respect et de réciprocité. L’objectif principal des Occidentaux est l’acquisition de matières premières prisées (défenses de morse, graisse de baleine, fourrures). Bien que permettant l’accès à des matériaux nouveaux, ces relations d’échanges ont progressivement créé des situations de dépendance du côté des Inuit, d’abord pour l’obtention d’outils en métal, puis d’armes à feu et de munitions, et maintenant pour bénéficier des nouvelles technologies (Internet, GPS, téléphonie mobile). L’appétence actuelle des jeunes pour un mode de vie plus occidental crée parfois des situations dramatiques : la perte du savoir géographique conduit ainsi certains jeunes à se perdre et mourir quand leur GPS ne répond plus…

Le réchauffement climatique actuel incite les grands investisseurs de notre monde globalisé à « peupler » l’Arctique pour y installer des stations plus ou moins pérennes pour le passage des cargos le long des côtes alaskiennes et canadiennes, ou encore le développement des explorations minières et pétrolières. À la suite de la déglaciation, les terres jusqu’alors inaccessibles font désormais l’objet de nombreuses convoitises. On compte à présent plus de 15 000 kilomètres de côtes potentiellement exploitables de la Sibérie au Groenland… Ces projets tiennent bien souvent peu compte des populations existantes et menacent à la fois leur environnement (risque de marée noire) et leurs traditions culturelles (abandon des pratiques de subsistance ancestrales telles que la chasse aux mammifères marins), sans réellement apporter d’autres avantages que financiers.

Au-delà de cette difficulté d’adaptation à l’économie mondiale, les Inuit doivent également faire face à un changement rapide de leur environnement, notamment à l’érosion des côtes qui détruit à la fois leurs habitations et leur patrimoine archéologique. Paradoxalement, cette situation dramatique ouvre la voie à de nouvelles relations entre Inuit et Occidentaux, fondées sur la volonté de préserver les traditions autochtones et de raviver un sentiment de fierté identitaire.  

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