La violente interpellation de Théo à Aulnay-sous-Bois est venue s’ajouter à la longue liste des polémiques qui ont récemment entaché la réputation des forces de l’ordre françaises : les décès de Rémi Fraisse et d’Adama Traoré, un maintien de l’ordre jugé trop musclé lors des manifestations contre la loi travail… Il n’est pas question ici de faire le procès de toute une profession, dont l’actualité récente nous a également montré qu’elle travaillait dans des circonstances très difficiles, mais de s’interroger sur les raisons pour lesquelles cette situation de tension avec une partie de la population semble figée depuis près de quarante ans. Bien entendu, la sociologie professionnelle des policiers montre que les forces de l’ordre des différents pays partagent un certain nombre de traits communs : solidarité face au danger et à une société jugée hostile, certitude d’incarner des valeurs d’ordre et de discipline ayant tendance à s’estomper par ailleurs, suspicion, pragmatisme. Il serait néanmoins ridicule de prétendre que la culture policière est monolithique et que l’histoire et les institutions nationales, les choix politiques ou encore l’implication de la hiérarchie n’ont aucune influence sur la façon dont agissent les représentants de la force publique. 

Ainsi la France se distingue-t-elle d’autres pays comme le Royaume-Uni sur deux points au moins. Tout d’abord, les forces de l’ordre françaises ont historiquement vu leur travail axé sur des enjeux de sécurité nationale, de protection des institutions et de lutte contre la grande criminalité. Tout ceci n’est évidemment pas sans lien avec un certain nombre d’événements qui ont marqué le pays, entre troubles révolutionnaires, existence de mouvances politiques violentes et développement du grand banditisme dans l’après-guerre notamment. Les Britanniques ont, dès le xixe siècle, pris un virage très différent en privilégiant la sécurité quotidienne et la satisfaction des citoyens. Face à une population méfiante vis-à-vis d’une police professionnelle créée en 1829, les autorités du pays ont posé les principes du policing by consent (police par consentement), selon lesquels la prévention, la persuasion, la confiance et la coopération du public sont les piliers du travail policier.

Quand les Britanniques plaident en faveur d’un traitement équitable envers toutes les personnes, la France a, elle, tendance à délaisser la recherche d’une meilleure relation avec la population au profit de méthodes de travail dites « offensives », dont les maîtres mots sont intervention et interpellation. Cette approche génère une démultiplication des interactions tendues (contrôles d’identité, interpellations, réponses aux appels d’urgence) au détriment des contacts plus informels. Ces priorités transparaissent assez bien dans la formation des gardiens de la paix français, qui insiste fortement sur les aspects procéduraux et les fameux GTPI (gestes techniques et professionnels d’intervention). La France a d’ailleurs été épinglée à plusieurs reprises par Amnesty International, la Cour européenne des droits de l’homme ou encore le comité des Nations unies contre la torture pour l’utilisation de méthodes d’immobilisation, comme le pliage ou le plaquage ventral, susceptibles de tuer par asphyxie la personne appréhendée. Plusieurs de nos voisins les ont pour cette raison interdites. 

À l’aune de ce qui vient d’être dit, les récentes affaires, aussi tragiques soient-elles, auront peut-être un effet bénéfique : remettre les relations police-population au cœur du débat public à deux mois du premier tour de l’élection présidentielle.  

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