Ibrahim Bechrouri, 26 ans, doctorant à l’université Paris VIII.

"J’étudie et je vis, depuis l’âge de 15 ans, à Saint-Denis. Dans le cadre de ma thèse, je suis parti aux États-Unis pour faire des recherches sur les stratégies d’antiterrorisme de la police new-yorkaise. Tout comme en France, des problèmes existent entre certaines populations, comme les Noirs et les Latinos, et la police. Pour y remédier, et comme on veut le faire en France, les officiers sont de plus en plus nombreux à porter des caméras sur leurs uniformes. Or des études ont montré que ce n’était pas une solution : si les violences diminuent dans un premier temps, elles tendent à s’accroître très nettement par la suite. Selon une étude menée aux États-Unis, les violences policières augmentent de 30 % à 70 % lorsqu’un officier de police porte une caméra. Paradoxalement, les policiers ont tendance à penser que leurs actes sont justifiés et que le film le prouvera. 

Malgré cela, la police de New York évolue plus vite que la nôtre. Elle a mis fin, après décision judiciaire, à la méthode du stop and frisk qui consiste à contrôler des individus pour des raisons vagues et à les soumettre à une fouille pour repérer une éventuelle arme. Les officiers avaient des quotas d’arrestations élevés à respecter et visaient en particulier les Noirs et les Latinos. Les gens étaient arrêtés parce qu’ils étaient noirs et avaient les mains dans les poches en hiver, par exemple. Les officiers de police justifiaient cela par le fait qu’ils cachaient peut-être une arme… Cette pratique a alimenté la méfiance des minorités harcelées et a gaspillé l’énergie des officiers. Et elle n’a même pas réalisé de manière efficace son objectif officiel qui était de ramasser un maximum d’armes.

Depuis l’arrêt du stop and frisk, les tensions sont moins fortes entre la police et la population, et le crime a continué de chuter à New York, au point d’atteindre le niveau le plus bas de son histoire selon les chiffres de la police locale. Autre exemple : le récépissé de contrôle, mis en place dans la ville depuis déjà plusieurs années. C’était une promesse de campagne de François Hollande qui n’a pas été tenue. C’est dommage. On aurait pu avoir des chiffres officiels et y voir plus clair dans l’affaire Théo, la recontextualiser dans un ensemble de pratiques systémiques. Mais, en France, on a du mal à remettre en question ces pratiques. On a tendance à dire que la situation américaine est différente. On pointe du doigt les violences policières qui ont lieu là-bas et on nie les nôtres. Heureusement, des collectifs sérieux se créent, comme Stop le contrôle au faciès et Urgence, notre police assassine. Grâce à leur travail, on apprend qu’une quinzaine de personnes meurent chaque année de manière suspecte entre les mains de la police. L’un a glissé, l’autre s’est cogné la tête… Mais ces histoires sont peu médiatisées, sauf parfois dans une dépêche du journal local ou à l’occasion d’un gros scandale comme l’affaire Théo."

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