La croissance, disent nos gouvernants, n’est pas encore vraiment là. Mais elle n’est pas très loin. Nous sentons qu’elle arrive à petits pas, sans faire de bruit. Rassurez-vous, braves gens, elle ne saurait tarder. Et alors, un peu de patience, tout redevient comme avant ou presque. Quel avant ? Celui du bon vieux temps de la croissance. Finies les fins de mois si difficiles que les plus démunis se privaient de l’essentiel dès qu’arrivait le 20. Finies, ou presque, les affres de l’emploi des seniors au rebut, des jeunes dans l’attente de ce qui ne vient jamais. Et alors, le climat s’apaise. Terminés les discours politiques de ministres désemparés qui tentent d’expliquer que deux plus deux ça fait cinq. Car c’est ça la croissance, le mot magique qui va résoudre tous nos problèmes, si compliqués qu’on n’y comprend goutte. Et d’ailleurs, comment s’y retrouver alors que nos experts, toujours les mêmes, nos meilleurs économistes, ne sont pas d’accord entre eux, quitte même à se renier. Et pour la faire avancer plus vite, notre croissance, il faut s’y mettre tous ensemble, tirer dans le même sens, oublier nos griefs, nos particularismes, notre sacré égoïsme. Noble ambition, vaste programme. 

La croissance ne se décrète pas, elle est pour partie le résultat de bonnes mesures. Et on y est, le pacte de responsabilité en trace l’essentiel. Oui, c’est l’entreprise qui crée des emplois, quand on a déjà une fonction publique pléthorique. Oui, notre fiscalité trop lourde pour les entreprises grève notre compétitivité. Oui, nos lois sociales sont trop rigides, etc. Alors pourquoi ce manque d’enthousiasme quand on est enfin sur la bonne voie ? 

Le peuple de gauche, celui qui a élu le président, contre Sarkozy, pour l’alternance, pour un changement radical, a entendu les accents lyriques du discours du Bourget. Je n’ai qu’un ennemi, c’est la finance. Et on lui dit maintenant qu’il faut aider les entreprises et les entrepreneurs. Il se sent trahi, floué. Il se rebiffe ou bien il s’éloigne. La grande masse des Français se désintéresse des affaires publiques, n’a pas plus confiance dans les institutions que dans les hommes politiques et regarde d’un œil morne les joutes oratoires au sommet. Le cœur n’y est pas, la confiance est gravement entamée au profit des ­extrêmes démagogiques, de droite comme de gauche. 

Il eût fallu expliquer, dire la vérité. Dire que l’on s’était trompé, que l’on avait sous-estimé le poids de la concurrence mondiale sauvage, que la mondialisation n’est pas un choix mais une donnée incontournable à laquelle il faut s’adapter. Que Pascal Lamy, l’ancien directeur de l’OMC, est mieux compris dans la plupart des pays étrangers qu’en France et particulièrement dans sa famille politique. Qu’il n’y a plus, ou presque, de productions françaises à la Montebourg. ­Répéter encore et toujours que le repli sur soi n’est pas une protection mais une absurdité mortifère. Dire également que nos vieux pays européens, de tailles et de niveaux très différents, n’auront chez eux qu’une croissance molle dans les années à venir et que nos chances de progrès se trouvent dans les pays émergents où une énorme classe moyenne se développe rapidement, où seront les consommateurs de demain. Exporter nos savoir-faire, nos ingénieurs et notre main-d’œuvre qualifiée là où Chinois et Américains sont en train d’investir. Et pour la France, aller particulièrement vers l’Afrique qui est à notre portée et parle encore un peu notre langue. 

Tout change très vite dans le vaste monde qui nous obligera à nous adapter au même rythme. Mais les Français sont toujours accrochés à leur terroir et sont difficilement délocalisables, même sur le territoire national. Alors l’étranger, pis encore un autre continent, quelle épreuve ! Il y a là un énorme problème culturel que les jeunes générations commencent à appréhender. Elles le feront d’autant plus volontiers que le manque de perspectives chez nous les y incitera. 

Aujourd’hui, nous sommes dans ­l’urgence. Tous les clignotants sont au rouge et c’est une banalité que de le rappeler (chômage, déficits, commerce extérieur, investissements, etc.). 

Le pacte de responsabilité, qui n’est pas un choix de ­société mais une nécessité du moment, est en danger. Pour réussir, il fallait frapper vite et fort. 

Nous en sommes loin. Les divisions à gauche comme à droite, l’irresponsabilité des syndicats aveugles conduisent à l’échec. À moins d’un sursaut national avant le chaos qui s’annonce. Nous avons là un devoir de mobilisation. Et si enfin la croissance nous revenait, aurait-elle les mêmes effets qu’à l’époque des Trente Glorieuses ? Certainement pas. La croissance d’alors s’ouvrait sur un appétit de consommation d’autant plus fort que les privations de la guerre l’avaient exacerbé. Ce furent les années d’or du commerce moderne qui maintenant va chercher son développement en Turquie, au Brésil, en Chine… Les tendances se sont inversées. Le consommateur dicte son choix à un commerçant en quête d’information sur l’état réel des besoins de son client. 

Sous l’effet de la crise, on voit poindre un renversement des valeurs. La disparition progressive du paraître. Ne plus acheter sa voiture pour la regarder du trottoir en faisant pâlir de jalousie son voisin, mais acheter utile avec plus de discernement. Acheter moins et mieux. La vie associative se renforce dans tous les domaines. La culture se développe dans tous les arts. Les queues interminables des expositions en sont une preuve flagrante. Alors, une fois dépassés les moments dramatiques que nous ­vivons dans notre pays où nous avons tant d’atouts – nos mers, nos montagnes, nos sites exceptionnels, la qualité de nombre de nos produits –, le slogan de l’avenir ne ­devrait-il pas être : vivre mieux, avec moins.   

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