Ce qu’incarne Trump dans l’imaginaire des millions de laissés-pour-compte américains qui lui ont permis d’accéder à la présidence des États-Unis ne laisse pas de fasciner. Comment ce parvenu new-yorkais, aujourd’hui milliardaire, a-t-il pu ainsi apparaître comme le porte-parole du prolétariat, et toucher au cœur les plus démunis, autant d’électeurs qu’il n’allait du reste pas tarder à trahir, en procédant notamment aux nominations d’ex-cadres de Goldman Sachs à des postes clés de l’économie américaine, lui qui avait promis de mettre à genoux Wall Street ? À ces interrogations, on trouvera un début de réponse inspirante chez la sociologue américaine Arlie Hochschild, auteur de Strangers in Their Own Land (« Étrangers dans leur propre pays »), paru chez The New Press et encore non traduit en français.

Cette universitaire californienne a mené l’enquête en Louisiane – un des États les plus pauvres des États-Unis, un de ceux où hôpitaux et écoles sont devenus des épaves, un des plus pollués aussi – à la rencontre de ces working poors qui ont fait basculer le scrutin en faveur de Trump. Le résultat est un essai sensible, où la cruelle responsabilité des démocrates américains, ces indéfectibles alliés des grandes banques et autres multinationales, si elle est tout à fait pointée, n’est pas la seule explication avancée. On connaît en effet la thèse de Thomas Frank dans Pourquoi les pauvres votent à droite, fruit d’un travail mené au Kansas au début des années 2000. La surprise n’est donc pas de voir les travailleurs américains se rallier à leurs pires ennemis de classe, persuadés qu’ils sont du mépris dans lequel les tiennent les élites clintoniennes de leur pays, dont tous les dogmes sociétaux et libre-échangistes sont aux antipodes de leurs préoccupations. Comment s’en étonner encore, alors même qu’aucun encadrement syndical, aucun collectif que ce soit, hormis la télévision et l’Église bien sûr, ne vient plus aider les ouvriers américains à structurer une quelconque vision du monde ?

Non, ce qui fascine dans les propos de Arlie Hochschild, c’est la perception du personnage Trump qu’elle restitue, celle que seuls des yeux américains peuvent voir en l’occurrence. De fervents chrétiens évangéliques qui l’ont investi, lui le plus irréligieux des hommes, accusé à tort ou à raison de divers dérapages sexuels dans un pays où ces choses-là pèsent, de qualités quasiment suprahumaines. Sur la chaîne NBC, des années durant, Trump campa le rôle d’un juré aux pouvoirs divins dans The Apprentice, programme très populaire. Aussi impérial qu’atrabilaire, il virait les candidats ou les couvrait de dollars, de même que, dans des concours de beauté, il a traité des candidates de mochetés devant l’Amérique entière ou en a couronné d’autres. Le sommet de la tour Trump, où se situent ses appartements privés, empire du mauvais goût où tout, jusqu’à la baignoire, est recouvert d’or, n’est du reste pas sans évoquer quelque chose de l’Olympe dans sa version Disney. Quand tout a échoué, quand tout le monde vous a trahi sur terre, que reste-t-il d’autre à invoquer sinon un dieu, fût-il de soap opera ? De cet état ultime de la déliquescence politique américaine, Trump a su tirer parti avec un véritable brio intuitif. Il n’en fallait pas moins pour arriver, à peine élu, à remettre sur le trône les principaux responsables de l’effondrement financier mondial de 2008. Un dieu aux allures de veau d’or, il fallait y penser.  

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