Il était une fois la mondialisation. L’histoire débute un soir de Thanksgiving, au cours de l’hiver 1937. Malcolm McLean, un Américain de 24 ans, s’impatiente au volant de son camion. Comme beaucoup d’autres routiers, il attend que les dockers du port de New York lui livrent sa cargaison. Au début du XXe siècle, les débardeurs chargent et déchargent le contenu des navires marchands à la seule force de leurs muscles. Les opérations prennent des heures, voire des jours. Coincé dans les embouteillages, le jeune homme imagine une façon d’accélérer le processus : charger directement la remorque des camions sur les navires. À l’époque, ce concept a déjà été mis en pratique sur certaines lignes de chemin de fer. Au moins 155 000 conteneurs sont en circulation en Europe occidentale. De tailles diverses, souvent en bois et sans couvercle, ils sont utilisés pour répondre à des besoins ponctuels. Personne n’a encore réellement pensé à en faire une technique de transport mondial des marchandises. Ainsi naît l’idée d’une boîte métallique géante transportable par voies terrestre, ferroviaire, fluviale et maritime et qui, une vingtaine d’années plus tard, révolutionnera le commerce mondial. 

L’histoire reprend en avril 1956, dans le port de Newark, à quelques kilomètres de New York. L’ancien jeune routier, qui n’y connaissait rien aux bateaux, est devenu propriétaire d’une société maritime. Son Ideal-X, un vieux pétrolier long de 200 mètres, s’apprête à mettre le cap sur Houston, au Texas, avec à son bord 58 conteneurs remplis de marchandises. Cinq jours plus tard, ces derniers sont répartis sur 58 camions et acheminés vers leur destination finale respective. C’est le début d’une révolution.

Il faudra la guerre du Vietnam pour prouver, une fois pour toutes, l’utilité de la « boîte ». En 1965, le gouvernement américain envoie une vingtaine de milliers de soldats en renfort chaque mois sur le terrain, provoquant une pagaille logistique. La surcharge de fret encombre les ports vietnamiens, inadaptés à l’approvisionnement d’une telle armée. Après de longues négociations, McLean parvient à convaincre les experts que la conteneurisation est la solution. En 1967, pour un contrat de 70 millions de dollars, sept navires de son entreprise Sea-Land Service s’élancent vers la baie de Cam Ranh, transformée en terminal à conteneurs. La « boîte » fait définitivement ses preuves.

Dans son ouvrage The Box : comment le conteneur a changé le monde (Max Milo, 2011), l’économiste américain Marc Levinson souligne ses atouts : « Un conteneur transportant 23 tonnes de machines à café peut quitter une usine en Malaisie, être chargé à bord d’un navire, et parcourir les 14 000 km le séparant de Los Angeles en l’espace de 16 jours. Le lendemain, le même conteneur se trouve à bord d’un train-bloc à destination de Chicago, d’où il est immédiatement transféré dans un camion faisant route vers Cincinnati. » Gain de temps, réduction de la main-d’œuvre et des frais de transport – le transfert d’un contenant à l’autre représentait les frais les plus élevés – sont les principaux avantages de la conteneurisation. La délocalisation des usines, jusque-là construites près des ports, a aussi permis aux entreprises de faire des économies considérables en s’installant sur des terres aux loyers plus attractifs, ou en transférant des millions d’emplois vers des pays à plus faibles coûts salariaux.

À la fin des années 1960, l’Organisation internationale de normalisation (ISO) définit le gabarit des conteneurs : 2,43 mètres de hauteur et de largeur, 6 ou 12 mètres de longueur. Cette normalisation facilite le recours au conteneur, qui devient progressivement systématique. Il entame alors sa conquête du monde, en commençant par l’Europe et l’Asie. Rapidement, une nouvelle géographie économique se dessine. D’anciens grands centres du commerce maritime, comme New York ou Liverpool, voient leurs ports désertés au profit de nouveaux espaces jamais exploités auparavant, comme Felixstowe en Angleterre ou Tanjung Pelepas en Malaisie. En Europe, dans les années 1980, des ports comme Anvers, Rotterdam, Hambourg et Le Havre s’imposent sur la scène internationale. La bataille est féroce, il faut sans cesse évoluer pour rester dans la course car le nombre de conteneurs en circulation s’accroît régulièrement. Ils étaient un peu plus de 4 millions à transiter dans les ports du monde en 1970, 35 millions en 1980 et… 230 millions au début des années 2000. 

Le port du Havre, premier port à conteneurs de France, a dû adapter ses infrastructures afin d’accueillir des navires de plus en plus imposants. « Port 2000 » est doté de 3,5 kilomètres de quai et de 21 portiques, dont 4 peuvent servir les plus grands porte-conteneurs au monde, comme le Bougainville. Ce dernier a la capacité d’en transporter 18 000, soit l’équivalent de 1 000 Airbus A380. Il est aussi le premier navire pourvu de conteneurs connectés, capables de transmettre en temps réel des informations relatives à leur localisation, à leur température (réglable à distance) ou encore à d’éventuels chocs ou infractions. 

En 2015, 2,5 millions de conteneurs de 6 mètres de long ont transité par le port du Havre, soit environ 68 millions de tonnes de marchandises de toute sorte. Un score dérisoire face aux géants asiatiques comme Shanghai, où transitent chaque année 36 millions de conteneurs. La Chine a su prendre la vague : sur les dix premiers ports mondiaux spécialisés, sept sont chinois. Selon la Banque mondiale, le trafic global s’élevait en 2015 à 680 millions de conteneurs. 

Près de 90 % du transport de marchandises actuel est assuré par des porte-conteneurs, et ceux-ci sont de plus en plus gigantesques. Alyson Meziane travaille au Port Center du Havre, un lieu d’éducation et de découverte du monde portuaire. Elle voit ces géants défiler tous les jours devant la grande baie vitrée de son bureau. « On ne va pas pouvoir agrandir indéfiniment ces bateaux, confie-t-elle. Viendra un jour où ils couleront ! » Ou disparaîtront. Dans un monde qui assiste à un début de démondialisation de la production des biens, le conteneur gardera-t-il sa place ? Entre 2008 et 2009, le thermomètre de la mondialisation avait brutalement chuté. Conséquence de la crise économique et financière, le trafic dans les ports mondiaux avait baissé de 44 millions de conteneurs, avant de reprendre sa course. Mais depuis le début de l’été  2016, une baisse des volumes de 39 % a été constatée sur les lignes reliant l’Europe et l’Asie. La courbe de température des flux maritimes est à surveiller de très près. L’indice SCFI (Shanghai Containerized Freight Index), un repère d’activité du fret, a plongé de 20 %. Les industries craignent un effondrement massif.

À quelques kilomètres, dans le quartier étudiant, une centaine de conteneurs sont empilés sur quatre étages. Transformés en studios bon marché (305 euros par mois), écologiques et rapides à mettre en place, ils ont déjà séduit l’Allemagne, l’Australie, les États-Unis et le Canada. Après avoir bouleversé le commerce mondial, le conteneur révolutionnera-t-il le logement ? 

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