Démondialisation. Ce mot me fait immédiatement penser au refus de savoir. On pense qu’avant – avant la mondialisation –, c’était mieux. On pense qu’avant c’était simple. On pense qu’avant on avait la maîtrise. Avant la mondialisation, dans un temps non ou dé-mondialisé, c’était donc mieux, simple et maîtrisé ? Bien sûr que non. Ce n’était pas mieux car beaucoup perdaient. Ce n’était pas si local mais au contraire très imbriqué avec les routes multiples du capitalisme. Amsterdam, Gênes, Venise. Quant à la maîtrise, quelle illusion ! La critique de la mondialisation est du même ordre que la préférence pour les jardins ou pour les chiens plutôt que pour les êtres humains. Avec les jardins et les chiens, on croit qu’on peut maîtriser. Rien n’est moins sûr. On ne maîtrise pas avec des murs mais avec des projets. 

Bien sûr, il y a des folies et des faiblesses.

L’exemple le plus extraordinaire de folie, ce sont ces producteurs de noix du Languedoc qui font ouvrir leurs noix en Tchéquie. On ne prend pas tout en compte dans le mécanisme de formation du prix. Sinon, on verrait bien que c’est absurde, ne serait-ce qu’à cause de l’empreinte carbone laissée par les allers-retours de la marchandise.

Autre folie : comment a-t-on pu créer en Europe un espace dit unique alors qu’on permet la course à l’optimisation fiscale ? Pourquoi le Luxembourg est-il le pays le plus riche de l’Europe ? Les Luxembourgeois seraient les plus inventifs ? Les tensions de la mondialisation se retrouvent à l’intérieur de l’Europe. Ses travers – qui gagne et qui perd ? – sont dans l’Europe. Comment accepter de telles distorsions de concurrence à l’intérieur de l’Union ? Pour les pépinières d’entreprises, l’Allemagne continue de bénéficier de dérogations qui creusent les écarts de salaires : 13 euros l’heure en France, 7 euros l’heure outre-Rhin. Résultat : nos pépinières sont en grand péril. Avant de « démondialiser », réglons les problèmes au sein de l’Europe. On regarde au loin pour ne pas faire le ménage chez soi. À espace unique, règles du jeu communes ! Quand on joue au foot, a-t-on le droit de mettre les mains ou pas ? En Europe, certaines équipes ont le droit de mettre les mains, les autres jouent seulement avec le pied.

Quant aux faiblesses, elles concernent notre incapacité, à nous Français, et surtout à nous Européens, à savoir mieux négocier. C’est une guerre. On doit donc se battre. Il est hors de question d’accepter le dumping chinois. J’ai le souvenir des pressions de la mondialisation sur le cinéma. Au début dses années 1980, la question était déjà brûlante. Les représentants du cinéma américain demandaient à Paris d’arrêter de subventionner le cinéma français. Ils voulaient sa mort. C’était bien sûr inacceptable.

À mes yeux, le mot démondialisation est le résumé du non-dit. Il traduit une vision ancienne des modes de production.Pourquoi cette tentation aujourd’hui ? J’y vois du déni et de la paresse face à la mondialisation. Déni des gens qui perdent. Paresse d’aller voir ce qu’on gagne. On veut du simple, même si c’est faux. On préfère ce qui est faux à ce qui est complexe. Le complexe, on ne veut pas le comprendre. Les politiques veulent simplifier car on vote pour le simple. Ne parlons pas de populisme mais de simplisme. Bientôt, il n’y aura plus que des simplets au pouvoir. Parmi les nains, ce n’est pas Simplet que j’aurais choisi pour diriger…

Le réel est têtu. Quand on ferme, ça ne marche pas. Très peu de pays ont voulu sortir du monde. Les grands ne peuvent pas. Qui croirait qu’on peut être seulement français ? La question posée est celle de l’espace. Quelle est la taille du camp retranché ? Astérix dans son village d’Armorique ? Le village va-t-il jusqu’à la France ? Jusqu’à l’Europe ? Notre drame, c’est le manque d’Europe. 

« Mal nommer les choses ajoute au malheur du monde », écrivait Camus. La connaissance va calmer les folies. La revendication légitime consiste à localiser les lieux de production. Si on dispose de cet élément de traçabilité, les circuits de distribution vont très logiquement se raccourcir. Que je mange des pommes chinoises en Bretagne et en Normandie, cela me choque. Elles sont moins chères ? ça dépend de ce qu’on met dans le prix ! Le moins-disant, c’est le moins-racontant. Plus on raconte, plus on va vers la vérité. 

Je crois que nous allons vers le raccourcissement. La prise de conscience dans le domaine de l’environnement a eu lieu. On est obligé. Et on est plus intelligent quand on est obligé. Voyez les conséquences des alertes rouges à la pollution maximum à Pékin. Désormais, plus aucun fonds d’investissement de long terme ne s’oriente vers le charbon. Ce serait une position intenable. La prise de conscience est là, dans l’entreprise. C’est la demande et c’est le business. C’est aussi un apport d’Internet. Les gens veulent que les produits racontent leur histoire. Qu’on ne soit plus dans l’opacité. 

Alors, démondialisation ? L’eau dit la vérité. Elle n’est pas transportable. Elle pose la bonne question pour savoir quel est l’espace pertinent de collaboration. Réponse : le bassin. La solution est dictée par la géographie. La gestion commune du fleuve Sénégal est nécessaire. Qui peut penser que le Sénégal peut être seul à gérer son fleuve, sans le Mali, la Guinée et la Mauritanie ? Seuls des populistes diront : cessons de négocier avec la Mauritanie. Je crois plutôt qu’on assiste à un retour de la géographie. La mondialisation, c’est tuer la géographie, c’est l’homogénéiser. Bienvenue au divers plutôt qu’à la démondialisation. 

Conversation avec ÉRIC FOTTORINO

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