La couronne formidable des rois
En s’appuyant de tout son poids
Sur ce masque de cire
Semblait broyer et mutiler
L’empire.

Le pâle émail des yeux usés
S’était fendu en agonies
Minuscules, mais infinies,
Sous les sourcils décomposés.

Le front avait été l’éclair,
Avant que les pâles années
N’eussent rivé les destinées,
Sur ce bloc mort de morne chair.


Les crins encore étaient ardents,
Mais la colossale mâchoire,
Mi-ouverte, laissait la gloire
Tomber morte d’entre les dents.

Depuis des temps qu’on ne sait pas,
La couronne, violemment cruelle,
De sa poussée indiscontinuelle
Ployait le chef toujours plus las.

Les astuces, les perfidies
Louchaient en ses joyaux taillés,
Et les meurtres, les sangs, les incendies
Semblaient reluire entre ses ors caillés.

Elle écrasait et abattait
Ce qui jadis était la gloire :
Ce front géant qui la portait
Et la dardait vers les victoires
Si bien qu’ainsi s’accomplissait, sans bruit,
L’œuvre d’une force qui se détruit,
Obstinément, soi-même,
Et finit par se définir
Pour l’avenir
Dans un emblème.

Couronne et tête étaient placées,
Couronne ardente et tête autoritaire,
En un logis de verre,
Au fond d’un hall, dans un musée.

 

Comme les autres hommes, nos dirigeants s’effacent aussi. Mais leur fin est plus pathétique, semble nous dire Émile Verhaeren. Car c’est le pouvoir qui les corrompt. Le poète belge a longtemps construit son œuvre contre une idée, celle du bonheur. Comme si un flagellant du Moyen Âge trouvait dans l’écriture l’occasion de messes barbares. Influencée par sa naissance flamande, sa plume n’hésite pas à brasser les néologismes, les adverbes lourds et les adjectifs inadéquats. Tout ça pour transformer un magma de sensations en symboles. « Le masque » paraît en 1895 dans Les Villes tentaculaires. Sa cire en décomposition figure une vanité dans ce recueil sur une urbanisation cannibale. Qu’importe l’usure des murs et des hommes ! La ville mastique inlassablement le passé dans on ne sait quels buts inquiétants. Il a suffi d’un discours télévisé pour ranger François Hollande au musée. Mais l’espoir naît aussi sur les décombres des anciens rêves. Pour qui faudra-t-il crier demain : « Vive le Roi » ? 

 

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