On insiste souvent sur le rôle des infirmières pendant la Première Guerre mondiale. Quelles en furent les conséquences ?

Un décret de 1922 institue un brevet de capacité qui rend nécessaire une formation pour être infirmière. Il est souvent présenté comme le signe de la gratitude de la nation aux infirmières qui se sont dévouées pendant la guerre de 1914-1918. En fait, tout cela était prévu depuis le début du siècle : une circulaire ministérielle de 1902 recommandait la création d’écoles d’infirmières et distinguait bien le personnel soignant du personnel non qualifié, ce qui n’était pas le cas auparavant. Mais cette évolution a, lors des mêmes décennies, concerné d’autres métiers hors de l’hôpital. Le principal effet de la Grande Guerre sur le métier d’infirmière est indirect : beaucoup d’hommes en âge de travailler avaient été tués et le marché du travail masculin était très ouvert. Les hommes fuyaient alors les places mal rémunérées dans les hôpitaux. Le personnel des services de soin s’est donc féminisé dans les années 1920. Si nous parlons ici d’infirmières, c’est parce que la majorité des infirmiers sont des femmes. Ce n’était pas forcément le cas au XIXe siècle.

Comment la révolution des soins des années 1960 a-t-elle transformé le métier d’infirmière ?

Les progrès médicaux du milieu du XXe siècle ont rendu nécessaire le travail d’un personnel de plus en plus qualifié. Or, les années 1960 ont connu une hausse spectaculaire du niveau de formation de la population, avec par exemple une multiplication des baccalauréats délivrés chaque année. La formation, notamment théorique, des infirmières a ainsi pu devenir bien plus approfondie, avec une durée plus longue et une sélection plus rigoureuse des élèves-infirmières, de plus en plus souvent recrutées au niveau du bac. Tout cela s’inscrit dans la politique gaulliste de développement du pays, avec la construction de nombreux établissements hospitaliers et scolaires et la création de centaines de milliers de postes de personnel soignant et de personnel enseignant.

Le mouvement de Mai 68 a-t-il eu un impact sur la prise de conscience de leurs conditions par les infirmières ?

Les hôpitaux ont été touchés par la grève du printemps 1968, qui s’est déroulée, comme la plupart du temps à l’hôpital, avec les soins assurés pour que les patients n’en pâtissent pas. Les acquis du mouvement, en termes de salaire et de conditions de travail, avec notamment une réduction du temps travaillé, ont bénéficié au personnel hospitalier ainsi qu’à tous les Français. Mais il a aussi eu des conséquences durables au niveau des mentalités. La toute-puissance des médecins a été un peu remise en cause, l’autorité des cadres s’est révélée moins évidente, à l’image de ce qui se passait alors dans l’ensemble de la société. Et le processus a persisté. Les jeunes femmes qui ont vécu dans leurs lycées un printemps 1968 fort agité sont devenues des élèves-infirmières très contestataires dans les années 1970. Infirmières, elles se sont lancées dans un mouvement social très novateur en 1988.

Quelles ont été les principales conséquences de ces grèves et manifestations de 1988 ?

D’abord, les infirmières ont fait céder le gouvernement, ce qui les a rendues fières de ce rôle social un peu exemplaire, comme les cheminots qui avaient mené deux ans plus tôt une grève victorieuse. Elles ont obtenu des hausses de salaire significatives et leurs critiques au sujet de leurs conditions de travail se sont un temps calmées. Au cours des années suivantes, des postes ont été créés. Mais on ne recrute pas du jour au lendemain du personnel dont la formation initiale dure trois ans.

Comment expliquer la faible syndicalisation des infirmières – autour de 5 % ?

D’abord, la France est un pays où se syndiquer ne rapporte souvent rien, sinon des ennuis, et la faible syndicalisation des infirmières s’inscrit dans cet état de fait. Les réticences qui ont pu se manifester dans l’entre-deux-guerres contre un état d’esprit revendicatif qui serait contraire au dévouement des infirmières ne sont plus d’actualité, ne serait-ce que parce que les malades peuvent être les premiers bénéficiaires des revendications des infirmières. En fait, comme d’autres groupes sociaux – je pense à celui des policiers en ce moment –, les infirmières reprochent aux syndicats une division qui les rend moins efficaces alors que c’est bien l’unité qui, comme en 1968 ou en 1988, couronne de succès les mouvements sociaux.  

 

Propos recueillis par MANON PAULIC

Vous avez aimé ? Partagez-le !