Les interrogations et les critiques à l’encontre des sondages gagnent toujours en intensité en période électorale. Alors que la campagne pour la primaire de la droite et du centre bat son plein, il est essentiel de rappeler que la réalisation d’un sondage repose sur un corpus de règles. Nous proposons ci-dessous un passage en revue des bonnes pratiques des instituts en pénétrant dans la fabrique des études d’opinion.

Qu’est-ce qu’un sondage ? Un sondage vise à évaluer quantitativement les caractéristiques ou les préférences d’une population à partir de l’étude d’une fraction de cette population : l’échantillon. En France, les échantillons sont généralement constitués selon la méthode des quotas, qui consiste à respecter au sein d’un échantillon des proportions égales à celles de la population étudiée relativement à un certain nombre de critères caractéristiques de cette population. Pour une enquête d’opinion auprès du grand public, les quotas concernent le sexe, la classe d’âge et la catégorie socioprofessionnelle de la personne interrogée, ainsi que la région de résidence et la catégorie d’agglomération. Ces quotas sont établis et actualisés chaque année à partir du recensement de la population réalisé par l’Insee. La méthode des quotas s’accompagne enfin d’une part essentielle d’aléatoire, du fait du tirage des individus sur fichier. La qualité de ces fichiers, leur actualisation permanente et le respect de procédures contraignantes dans leur exploitation sont des prérequis pour une bonne application de la méthode des quotas.

Selon les thèmes de l’étude, les facteurs déterminant les opinions peuvent être différents, ce qui amène à se poser pour toute étude la question des critères pertinents. Les quotas retenus doivent présenter trois caractéristiques : ils doivent être observables (c’est-à-dire connus a priori, ou bien susceptibles d’être recueillis de manière suffisamment fiables auprès des personnes interrogées), vérifiables (il existe pour chaque critère de quota des statistiques solides et récentes sur l’ensemble de la population étudiée) et pertinents (l’institut d’études se doit de disposer d’un savoir sociologique actualisé). 

En pratique, entre deux et quatre critères de représentativité sont nécessaires, outre la stratification géographique, afin d’ajuster au mieux un échantillon. Au-delà de quatre, l’arbitrage entre représentativité et coût s’avère déséquilibré : l’ajout d’un critère a un coût trop élevé pour un bénéfice minime en matière d’amélioration de la représentativité. 

Quels sont les différents modes de recueil ? Les premiers sondages étaient réalisés en face-à-face. Cette technique, qui suppose de disposer d’un réseau de plusieurs centaines d’enquêteurs répartis sur l’ensemble du territoire, est désormais minoritaire mais reste utile pour sonder des cibles difficiles à joindre ou pour des questionnaires longs. Les instituts lui préfèrent le téléphone, apparu comme technique d’enquête dans les années 1980, et surtout Internet, depuis les années 2000-2010. Pour autant, il n’existe pas un mode de recueil idéal. Chacun présente des avantages et des inconvénients : le choix dépend de facteurs comme la problématique et la population étudiées, ou encore les délais de réalisation. 

Internet s’est cependant imposé au niveau des sondages nationaux auprès du grand public pour des raisons méthodologiques et économiques. L’absence d’enquêteur permet au répondant de se sentir plus libre et représente donc un atout pour mesurer avec davantage de précision des comportements passés ou à venir sur des sujets sensibles ou délicats, comme le vote Front national. Elle permet aussi d’abaisser les coûts liés au recueil des données et de réaliser des gains de compétitivité importants dans un secteur très concurrentiel et un contexte économique fragile. Le coût d’une question administrée par Internet à un échantillon de 1 000 personnes oscille ainsi entre 600 et 800 euros. Le montant atteint fréquemment le double par téléphone et pas loin du triple en face-à-face !

Comment mesure-t-on les intentions de vote ? Une enquête d’intentions de vote est un sondage visant à quantifier non pas des opinions du type « Je pense que… », « Je souhaite que… », mais l’intention d’aller voter et le choix d’un candidat – projet non définitif jusqu’à l’élection. En pratique, les interviewés sont invités à préciser s’ils envisagent de participer à l’élection et à choisir un candidat parmi une offre électorale préétablie mixant candidats déclarés et potentiels jusqu’à la publication de la liste officielle. 

Afin de mesurer les intentions de vote le plus précisément possible, nous cherchons aussi à reconstituer les votes antérieurs des sondés pour contrôler la représentativité politique des échantillons. Par exemple, pour 2017, les interviewés sont invités à indiquer leur vote de 2012, cette information permettant de procéder au redressement politique de l’échantillon. Si 31 % des sondés ont voté pour François Hollande en avril 2012 alors que son score était de 28,6 %, le redressement consistera à minorer mécaniquement le poids de ces électeurs par l’application d’un coefficient de pondération. Ce coefficient correspond à 28,6 % divisé par 31 %, soit un coefficient de 0,92. Cette opération est effectuée par des algorithmes pour l’ensemble des votes reconstitués, les votes sous-représentés se voyant appliquer un coefficient supérieur à 1 de façon à renforcer le poids des individus concernés.

Les enquêtes sont-elles fiables ? Rappelons d’abord ce point essentiel, trop souvent occulté dans le débat public : les enquêtes d’intentions de vote ne sont pas des outils de prédiction des résultats du vote. Elles permettent de connaître à un instant t un rapport de force politique et, surtout, de mettre à jour les dynamiques de campagne. La date de réalisation d’une enquête constitue par conséquent un élément d’information clé et il est tout à fait normal qu’une mesure réalisée plusieurs semaines avant le scrutin ne corresponde pas au résultat des urnes. D’abord, parce que l’offre politique à partir de laquelle se prononcent les électeurs interrogés fluctue jusqu’à sa fixation définitive. Ensuite, parce que les intentions de vote évoluent sous l’effet de la campagne électorale et de l’actualité. Mais évitons tout malentendu : plus l’on s’approche d’une échéance électorale et plus les intentions de vote ont tendance à converger vers le résultat final. 

Pour autant, une enquête réalisée quelques jours avant le scrutin présentera elle aussi des écarts avec les résultats officiels : une part de votants se décident au dernier moment, parfois dans l’isoloir ! De plus, comme toute enquête statistique, les sondages d’intentions de vote sont affectés par une marge d’erreur. Cette marge d’erreur dépend à la fois de la taille de l’échantillon interrogé et du résultat observé. À titre d’exemple, pour un échantillon de 1 000 personnes et pour un résultat observé de 50 %, cette marge est de plus ou moins 3,1 points, ce qui signifie qu’il y a 95 % de chances pour que le résultat réel soit compris entre 46,9 et 53,1 %.

Comment faire la différence entre un bon et un mauvais sondage ?

Depuis la loi du 19 juillet 1977, les enquêtes d’intentions de vote publiées sont contrôlées par une autorité indépendante, la Commission des sondages. La loi du 25 avril 2016 relative à la modernisation de diverses règles applicables aux élections a étendu ce contrôle aux sondages portant sur des thématiques au centre du débat électoral. En pratique, la Commission des sondages s’assure de la sincérité des résultats publiés par les instituts, qui lui transmettent une notice méthodologique. Le contrôle porte sur la qualité de l’échantillon, l’ordre et la cohérence des questions, et le redressement des résultats. En cas de manquement, la Commission adresse aux fautifs des mises au point qui font l’objet d’une diffusion publique. 

Un autre enjeu réside dans l’usage abusif de la dénomination « sondage » dans le débat public. Avec l’arrivée du web social, nous avons en effet assisté à la multiplication de consultations en ligne, notamment sous la forme de « questions du jour ». Celles-ci sont parfois présentées comme des « sondages », ce qui fausse le débat puisque tout en recueillant l’avis de plusieurs milliers d’individus, ces consultations ne reposent sur aucun des critères scientifiques de représentativité utilisés par les professionnels. Il faut donc être très vigilant quant à la méthodologie de l’enquête et à l’institut qui l’a réalisée.

Les sondages sont-ils une industrie ?

Il existe aujourd’hui plusieurs dizaines de sociétés d’études et de sondage en France. Syntec Études, le syndicat représentatif des professionnels des études en France, regroupe une soixantaine d’entreprises, allant des très petites structures jusqu’aux plus grands opérateurs du marché, qui totalisent plus de la moitié du marché français des études, lequel est estimé à plus de 2 milliards d’euros de chiffre d’affaires. En pratique, les secteurs de la grande consommation, de la distribution et du commerce sont les principaux pourvoyeurs d’études et représentent environ 50 % de la demande totale. Les études d’opinion représentent moins de 10 % de l’activité du secteur, études politiques incluses. Ces dernières présentent toutefois un intérêt stratégique non négligeable puisqu’elles procurent une forte visibilité à ceux qui les produisent. Logiquement, les instituts les plus connus sont ceux que l’on retrouve régulièrement dans les médias : Ipsos, TNS-Sofres, BVA, Ifop, OpinionWay, Viavoice, CSA, Odoxa, et plus récemment Elabe. Plusieurs milliers d’études sont produites chaque année mais, compte tenu de leur diversité, il est difficile d’établir un prix moyen. Le coût d’une étude peut en effet aller de quelques centaines d’euros pour une question d’opinion à plusieurs centaines de milliers d’euros pour des dispositifs de grande ampleur. Au total, le secteur des études emploie plusieurs milliers de salariés, avec un haut niveau de qualification : le recrutement d’un chargé d’études débutant se fait à bac + 5, ce qui témoigne du degré élevé de connaissance et d’expertise que mobilise au quotidien ce secteur. 

@yvesmariecann

 

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