Le « néo » est une spécialité bien française et l’appellation « néoréac » le dernier avatar de querelles intellectuelles gauche-droite nées avec le Siècle des lumières. Vieille histoire donc, qui remonte à Voltaire, inventeur de l’intellectuel engagé à qui l’on prête cette proclamation : « Même si je ne suis pas d’accord avec vous, je me battrai toute ma vie pour que vous puissiez vous exprimer. » Mais lui-même ne mesurait jamais sa propre virulence lorsqu’il cognait sur ses ennemis.

Depuis, la France qui pense et écrit préfère la polémique, voire la diabolisation, au dialogue et à l’échange. Ce clivage s’est définitivement installé avec l’affaire Dreyfus. Jusqu’à se radicaliser. Quand il s’agit de discréditer un adversaire, il n’y a plus de limites, en effet. La droite ne s’est jamais privée de le faire mais la gauche y a trouvé aussi une arme de destruction massive. Deux grandes figures intellectuelles du xxe siècle ont ainsi subi ses assauts : Albert Camus et Raymond Aron. Camus écrit : « Si la vérité devait être de droite, alors je serais de droite », lorsque Simone de Beauvoir affirme : « La vérité est une, l’erreur multiple. Ce n’est pas un hasard si la droite professe le pluralisme. » C’est l’époque où « il vaut mieux avoir tort avec Sartre que raison avec Aron ».

Le travail intellectuel, dont le royaume est l’étude, cède de plus en plus le pas à la vie intellectuelle qui s’expose sur les tréteaux médiatiques. Chacun s’y enferme dans un rôle et y trouve son compte de gloire. Néoconservateurs, néostaliniens, néophilosophes, néovichystes, tout est « néo », ce qui est bien commode pour entretenir le spectacle de la polémique et donc de l’audience. Ainsi en 2002 sont nés les néoréacs, à la fois diabolisés et très utiles pour les intellectuels de gauche, chacun se nourrissant des positions de l’autre dans une radicalité qui fait de l’audimat, des ventes de livres mais devient caricature de la réflexion.

Mieux que tout autre, il y a bientôt quatre-vingt-dix ans, dans La Trahison des clercs, Julien Benda a dénoncé les méfaits de cette « prêtrise séculière » qui, à droite comme à gauche, n’obéit qu’aux passions politiques « qui dressent des hommes contre d’autres hommes au nom d’un intérêt ou d’un orgueil, et dont les deux grands types sont, pour cette raison, les passions de classe et de la nation ». 

 

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