Pourquoi le combat des femmes est-il encore si laborieux ? 

Parce que l’on exclut une partie de la population du débat en fragmentant les combats. Le féminisme, c’est avant tout une question de droits humains. Le jour où l’on parlera de lutte contre les inégalités en général plutôt que de féminisme, on rendra la lutte universelle et on avancera. Ça ne veut pas dire qu’il ne faut pas nommer les choses. En France, par exemple, il est aujourd’hui question d’islamophobie. Mais il serait bon de rappeler qu’il s’agit avant tout de racisme. Il faut décloisonner les combats, prendre du recul et revenir à l’universel pour avoir davantage d’impact. 

Quelle place avez-vous souhaité donner aux femmes dans votre film ? 

La place qu’on ne leur donne pas dans le cinéma français. Je veux montrer les choses telles qu’elles sont et non pas telles qu’elles sont fantasmées. Divines parle de banditisme et de délinquance par le prisme des femmes parce que ça existe. Dans les guerres, on n’a pas été que cantinières ! Et quand j’ai fait mes repérages, j’en ai rencontré des dealeuses ! Notre objectif peut aussi être le pouvoir, la reconnaissance et un besoin de dignité. Mais mon film parle avant tout de pauvreté, d’un personnage qui cherche à trouver sa place. Au cinéma, ce genre d’histoires est souvent abordé du point de vue de l’homme. 

Quel regard portez-vous sur le cinéma féminin ? 

Ce n’est pas parce que l’on parle des femmes que l’on doit parler de sujets de femmes. Où allons-nous ? Quelles valeurs notre société transmet-elle ? Voilà les questions que je me pose. Dans Divines, le héros qui fait avancer l’histoire est une femme, et le personnage qui incarne la grâce et le sentiment amoureux, c’est un homme. Mais ce n’est pas si original : dans Richard III de Shakespeare, le personnage qui fout le bordel, c’est la reine Marguerite ! C’était pareil dans la tragédie grecque, regardez Antigone. On a régressé. 

Existe-t-il un féminisme des quartiers populaires ? 

On a souvent dit que les jeunes de banlieues étaient plus misogynes, mais c’est faux. J’ai grandi dans une cité où il n’y avait pas d’inégalités entre les filles et les garçons. Au contraire, les filles sont plus actives. Je le vois dans le cadre des ateliers que j’anime avec mon association 1 000 Visages. Que tu sois garçon ou fille, tu dois faire ta place.  

Vous êtes-vous déjà sentie discriminée en tant que femme ? 

Oui, lorsque j’ai essayé d’entrer dans le réseau du cinéma. Dans les écoles, la moitié des étudiants sont des femmes et, sur le marché du travail, il n’en reste que 14 % ! Pourquoi si peu d’entre nous obtiennent des budgets supérieurs à 6 millions d’euros ? Pourquoi n’y a-t-il aucune femme parmi les décisionnaires de Cannes ? Pour ces questions-ci, je veux être féministe et porter le drapeau ! 

Que vous inspirent les grandes figures du féminisme ? 

Je me sens redevable, mais je ne m’identifie pas à elles car leurs problématiques étaient différentes. Récemment, je me suis retrouvée assise à une table avec Agnès Varda. Des cinéastes comme elles se sont battues pour obtenir ce simple droit, être là, autour de cette table. Maintenant, le combat n’est plus le même, les discriminations sont faites sous la table. La société se dit ouverte parce que l’on peut porter des mini-jupes ou bronzer seins nus. En réalité, on te donne des droits de femmes mais on ne te donne pas le pouvoir des hommes. 

Quelles sont les femmes qui vous inspirent ? 

Je suis admirative d’Angela Davis, de Jeanne d’Arc ou encore de la militante du FLN Djamila Bouhired. Les grandes gueules sont plus rares aujourd’hui. Beaucoup de femmes se désolidarisent en disant qu’elles ne sont pas féministes. 

On vous a reproché d’être vulgaire lorsque vous avez lancé au délégué général de la Quinzaine des réalisateurs : « T’as du clito ! »

C’est là que la discrimination est insidieuse, donc plus dangereuse. Si j’avais été un homme, personne n’aurait relevé. Mais le courage n’est pas uniquement masculin ! Et puis à Cannes, ils n’ont tellement pas l’habitude de nous voir. Nous, femmes. Nous, petites gens, en dehors du sérail. Je parle des hommes, blancs et bourgeois qui composent les commissions. Leurs codes sont différents. Chez moi, quand on marque un but, les femmes hurlent, explosent. Qui disait : « à force de nous regarder, ils s’habitueront » ?

La société est-elle aujourd’hui disposée à donner leurs places aux femmes ? 

Cette Caméra d’or, tout le monde en parle, ce qui me rend très optimiste pour l’avenir. On continue d’entendre que la raison pour laquelle les femmes sont si peu nombreuses, c’est que l’offre n’est pas assez bonne. Mais la question que je me pose concerne plutôt la direction du Festival de Cannes. Auront-ils le clito de nommer un jour une femme ? 

 

Propos recueillis par M.P.

 

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