Le tatouage est-il harâm (« interdit ») ou halâl (« licite ») ? Le prénom de ma cousine est-il compatible avec les préceptes de l’islam ? Que pensent les savants de la gélatine ? Sur Beur FM, les questions des auditeurs ne manquent pas de précision. Ils sont 1,2 million à écouter chaque semaine cette radio communautaire française laïque de culture maghrébine. À l’antenne, ils confient pourtant leurs doutes, leurs peurs et leurs interrogations liées à l’islam, parfois surprenantes.

Abdelkrim Branine, rédacteur en chef de la station, déplore « cet islam du détail qui résulte de la pratique, en France, d’un certain nombre d’imams ayant négligé les sujets philosophiques de fond ». Dans l’émission qu’il anime avec le journaliste Philippe Robichon, l’imam Abdelali Mamoun aide les auditeurs à concilier leur pratique religieuse avec leur quotidien de citoyens français. Il classe leurs principales interrogations en trois catégories. La première concerne la pratique de l’islam : « Si la musique de mon voisin vient perturber ma prière, celle-ci reste-t-elle valide ? » Viennent ensuite les problèmes conjugaux : « Mon fils s’est marié avec une Française athée qui venait chez nous dans des tenues extravagantes en plein ramadan. J’ai refusé d’assister au mariage et décidé de ne plus les voir. Suis-je allée trop loin ? » Enfin, les questions financières : « L’usure étant un péché, puis-je emprunter tout en restant un bon musulman ? » Pour l’imam, l’enjeu est important : « Il s’agit de savoir si les familles peuvent se lancer dans l’achat d’un pavillon ou sont condamnées à rester dans un ghetto. » À l’heure du ramadan, du pèlerinage, de l’Aïd el-Kebir ou des élections présidentielles, les questions se précisent encore : « Je suis enceinte et mon médecin m’interdit de jeûner, comment compenser ? » ; « Est-il licite d’aller voter ? Si oui, pour qui ? »

Pourquoi tant d’interrogations ? Pour cet imam à l’antenne depuis huit ans, elles ne sont pas le signe d’un repli communautaire face à l’islamophobie grimpante mais plutôt celui d’une meilleure connaissance de l’islam par ses fidèles. « Avant, cette connaissance était renfermée dans les livres. Aujourd’hui, elle est disponible sur YouTube. Si vous tapez le mot “prophète” dans Google, vous tomberez surtout sur des définitions musulmanes, bien qu’il existe des prophètes chrétiens et juifs. »

Lorsqu’il transmet ses conseils, Abdelali Mamoun nuance l’interprétation que certains savants font du Coran. « On essaye d’élargir nos réponses pour que l’auditeur ne se focalise pas sur une conception binaire de l’islam qui consiste à se préoccuper seulement de ce qui est licite ou illicite, poursuit-il. L’islam est une relation mystique avec Dieu, mais aussi entre les hommes et les femmes. »

L’émission de radio est aussi l’occasion d’exprimer ses peurs et sa douleur. Après les attentats de janvier 2015, un quinquagénaire originaire des Hauts-de-Seine libère sa peine : « Je ne remercierai jamais assez la France de m’avoir élevé, d’avoir fait de moi un diplômé, de m’avoir permis de m’épanouir. Mais depuis une dizaine d’années, je ne me sens plus Français. Je sais que je ne mourrai pas en France et je ferai tout pour que mes enfants rentrent eux aussi en Algérie. Parce que notre place n’est plus ici. »

Pour Abdelkrim Branine, cette tentation des Français musulmans de quitter l’Hexagone est un vrai phénomène qui s’est intensifié au fil des attentats et des polémiques. Étudiants, trentenaires et quadras rejoignent les pays du golfe, l’Amérique du Nord ou d’autres pays européens. Les retraités, eux, retournent au Maghreb.

Une question résonne aujourd’hui plus fort que les autres : que sommes-nous en train de vivre ? « Le regain de l’islamophobie est-il le fruit d’une instrumentalisation politique qui se calmera hors période électorale, s’interroge Abdelkrim Branine, ou bien s’agit-il d’une lame de fond plus menaçante ? » 

 

MP

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