Vous êtes-vous déjà imaginé l’état sentimental (proche du coup de foudre !) dans lequel vivait l’ingénieur serbe Nikola Tesla, en 1882, au moment où il mit au point le premier moteur à courant alternatif ? Non. Lisez donc Mademoiselle Ève de Marion Lecouvey, lauréate 2016 du concours de nouvelles organisé par l’École nationale supérieure de techniques avancées (ENSTA ParisTech). Vous comprendrez l’importance de l’étincelle électrique à la fois dans la vie d’un étudiant enamouré et dans l’histoire contemporaine des sciences et des techniques. 

Réconcilier les scientifiques et les littéraires autour de l’écriture, tel est l’objectif depuis 2010 de Laurence Decréau, responsable du concours et de l’enseignement des humanités à l’ENSTA. « Lorsque je dirigeais chez Flammarion la collection Quark noir, je proposais à un auteur de fiction de travailler avec un ou plusieurs scientifiques. Ensemble, ils détournaient un univers scientifique et trouvaient une intrigue de polar. » À ces occasions, l’éditrice remarque que les scientifiques se prêtent volontiers au jeu et s’amusent beaucoup. « La fibre de l’imagination était touchée car leur travail n’est pas uniquement fait de pure rationalité, constate-t-elle. Alors que les écrits professionnels des scientifiques sont parfaitement normés, une partie d’eux-mêmes se libère grâce à la rédaction de textes de fiction. » 

Chaque année, pour décortiquer les manuscrits, un nouveau jury est sollicité mêlant éditeurs, universitaires, scientifiques et littéraires. À sa tête, en 2016, le tandem de présidents était composé du professeur de philosophie et romancier corse Jérôme Ferrari et du physicien et directeur de recherche au CNRS Étienne Klein. La physicienne et historienne des sciences Françoise Balibar était aussi de l’aventure car elle est l’une des spécialistes du scientifique Albert Einstein. Les membres du jury partagent le goût de la vulgarisation de leurs connaissances, c’est-à-dire le don de se mettre dans la tête d’une personne qui ne sait pas ce que les spécialistes connaissent par cœur. « Le bon vulgarisateur est altruiste et généreux, analyse Laurence Decréau. Il pense à celui qui le lira. Il partage ses connaissances à l’écrit comme à l’oral. »

Quant aux lauréats, qu’ils soient ingénieurs ou collégiens, tous ont un point commun : la jubilation de la fiction. « Les gagnants vont à fond dans l’inventivité littéraire, se réjouit Laurence Decréau. Ils créent une intrigue avec des personnages et un ressort romanesque. Trop de manuscrits sont un prétexte à digresser sur les sciences. » Au fil des années, l’école AgroParisTech a fourni de nombreux lauréats. « Peut-être parce que leur travail est fondé sur la dissertation pour expliquer leur science », remarque Laurence Decréau. Les auteurs les plus audacieux manient l’humour avec adresse au risque de diviser les membres du jury. « L’humour reste le style le moins consensuel qui soit. » 

En 2016, 805 manuscrits ont concouru dans les trois catégories – étudiants scientifiques, grand public, élèves du secondaire – autour du sujet « Dans la peau d’Archimède, Einstein et les autres
 ». Pour Laurence Decréau, il s’agit aussi de lutter contre le catalogage trop rapide des élèves, les littéraires d’un côté, et les scientifiques de l’autre. Dès sa troisième année d’existence, le concours s’est ouvert aux lycéens et aux collégiens. « Cette année-là, se souvient Laurence Decréau, une classe de cinquième a remporté le premier prix. » 

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