De tous les pêle-mêle, l’océan est le plus indivisible et le plus profond.

Essayez de vous rendre compte de ce chaos, si énorme qu’il aboutit au niveau. Il est le récipient universel, réservoir pour les fécondations, creuset pour les transformations. Il amasse, puis disperse ; il accumule, puis ensemence ; il dévore, puis crée. Il reçoit tous les égouts de la terre, et il les thésaurise. Il est solide dans la banquise, liquide dans le flot, fluide dans l’effluve. Comme matière il est masse, et comme force il est abstraction. Il égalise et marie les phénomènes. Il se simplifie par l’infini dans la combinaison. C’est à force de mélange et de trouble qu’il arrive à la transparence. La diversité soluble se fond dans son unité. Il a tant d’éléments qu’il est l’identité. Une de ses gouttes, c’est tout lui. Parce qu’il est plein de tempêtes, il devient l’équilibre. Platon voyait danser les sphères ; chose étrange à dire, mais réelle, dans la colossale évolution terrestre autour du soleil, l’océan, avec son flux et reflux, est le balancier du globe. 

Dans un phénomène de la mer, tous les phénomènes sont présents. La mer est aspirée par le tourbillon comme par un siphon ; un orage est un corps de pompe ; la foudre vient de l’eau comme de l’air ; dans les navires on sent de sourdes secousses, puis une odeur de soufre sort du puits des chaînes. L’océan bout. Le diable a mis la mer dans sa chaudière, disait Ruyter. En de certaines tempêtes qui caractérisent le remous des saisons et les entrées en équilibre des forces génésiaques, les navires battus de l’écume semblent exsuder une lueur, et des flammèches de phosphore courent sur les cordages, si mêlées à la manœuvre que les matelots tendent la main et tâchent de prendre au vol ces oiseaux de feu. Après le tremblement de terre de Lisbonne, une haleine de fournaise poussa vers la ville une lame de soixante pieds de hauteur. L’oscillation océanique se lie à la trépidation terrestre.

Ces énergies incommensurables rendent possibles tous les cataclysmes. À la fin de 1864, à cent lieues des côtes de Malabar, une des îles Maldives a sombré. Elle a coulé à fond comme un navire. Les pêcheurs partis le matin n’ont rien retrouvé le soir ; à peine ont-ils pu distinguer vaguement leurs villages sous la mer, et cette fois ce sont les barques qui ont assisté au naufrage des maisons.  

 

Victor Hugo, Les Travailleurs de la mer, 1866

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