Existe-t-il un profil type du terroriste islamiste ? 

50 % sont des convertis ou reconvertis, c’est-à-dire des enfants élevés dans la culture musulmane et qui redécouvrent la religion à l’âge adulte. Ils ont souvent un passé judiciaire très mince. La quasi-totalité de mes clients ont un dossier vierge. C’est pour cette raison qu’ils recourent à un avocat commis d’office : ils n’en connaissent pas dans leur entourage. Ce sont aussi des personnes sans ressources, issues de milieux très modestes ou ayant coupé les ponts avec leur famille. Certains ont fait des études et ne sont pas idiots. L’un d’eux, plutôt intelligent et débrouillard, est parti en Syrie parce qu’il s’ennuyait. Il vivait en France dans un coin reculé et ne trouvait pas de travail. Ces hommes viennent le plus souvent d’une petite ville de province triste et paumée.

Qu’en est-il des femmes ? 

Il y a beaucoup plus de femmes liées aux affaires terroristes qu’on ne le pense. Simplement, on a judiciarisé leur situation de façon plus tardive. Elles ont longtemps été écoutées comme simples témoins, plus récemment mises sous contrôle judiciaire. On commence seulement maintenant à les incarcérer. Il existe une misogynie inversée de la justice pénale, constante et normale, puisque les femmes respectent généralement mieux leurs obligations, sont moins violentes, passent en général moins à l’acte. 

Qu’est-ce qui mène au terrorisme selon vous ?

J’ai pu observer un réel problème de maturité chez mes clients, qui manifestent des symptômes post-adolescents. Le défaut de reconnaissance sociale qu’ils ressentent est en réalité un manque d’estime de soi. Et l’État islamique apporte une structure à ces individus. C’est un idéal héroïque dévoyé. L’islamisme n’est pas une maladie, cela ne s’attrape pas. C’est une idéologie. On te promet que tu deviendras un héros, toi, personnellement. Contrairement au salafisme, l’État islamique est très individualiste. Il se veut incluant : il n’a pas une vocation communautaire, mais universelle.

Vos clients ont-ils conscience de leurs actes ? 

Parmi les profils les plus hostiles, il y a un vrai sentiment de persécution. Pour eux, la France persécute les musulmans et l’âge d’or de l’islam a pris fin à cause de l’Occident. Je crois qu’un homme ne peut commettre un attentat en France et tuer des civils innocents sans être persuadé d’agir en légitime défense. C’est psychologiquement impossible. Pour ce qui est des individus ayant rejoint les rangs du Front Al-Nosra en Syrie avant les attentats de janvier 2015, la plupart d’entre eux n’étaient pas spécialement au fait des questions de djihadisme. Ils arrivaient souvent à la frontière et demandaient aux groupes combattants qu’ils rencontraient s’ils voulaient bien les intégrer. Ils étaient dans un rêve d’aventure. Quant à ceux qui sont partis après les attentats contre Charlie et l’Hyper Cacher, la Justice estime que les motivations sont différentes, qu’ils sont conscients de la logique terroriste de l’État islamique. Aux yeux du parquet, ils sont grillés. 

 

Propos recueillis par MANON PAULIC et MAHIR GUVEN 

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