Le petit bon à rien joue au ballon,
part en courant derrière le ballon qui rebondit et roule.
Il a déjà cassé presque tous les carreaux,
entre autres la baie bleue de cette maison
où le soleil semblait un arc-en-ciel en flammes.
Les poteaux se raidissent tellement ils tremblent.
(C’est que ça ne rigole pas avec le petit bon à rien…)
Et, quand tout ensoleillé il passe
en courant au milieu des autres gamins,
dans son tablier vert-et-jaune, chaussures trouées,
aussitôt surgit un gendarme,
l’homme le plus ventripotent du monde,
avec ses boutons en faux or,
et vlan ! Confisqué, le ballon !
« Ces garnements
feraient mieux d’aller à l’école... »
Toute la nuit, le petit bon à rien revoit
la figure hideuse du gendarme engoncé
dans son énorme uniforme
avec cette longue pèlerine ruisselante
de boutons jaunes.
Alors son innocence improvise des châteaux féeriques ;
et il voit, à travers les carreaux,
la lune ronde qui passe, immense,
comme un ballon lancé dans le ciel.
« À tous les coups c’est ce Dieu
dont bonne maman parle tant.
Ce Dieu ami des enfants,
qui a une balle blanche couleur d’opale
et une autre rouge couleur de soleil ;
qui joue au foot jour et nuit,
et qui vient à l’instant d’envoyer la lune
de l’autre côté du mur ; le matin, derrière la colline,
d’un coup de pied il renvoie le soleil... »

Cité et traduit par Max de Carvalho dans son livre La Poésie du football brésilien : épinicie pour le pays des palmeraies, Chandeigne, 2014

 

En poésie, comme en enfance, la nature prend la forme de nos rêves. Et se trouve parfois dotée de la beauté sportive des formes en mouvement. Dans le Romancero gitan de Federico García Lorca, le soleil andalou fait des passes de corrida sur la mer et les ruisseaux tandis que, la même année, chez le Brésilien Cassiano Ricardo, même Dieu joue au football. Mais si les deux poètes innovent en célébrant la culture populaire, gitane ou indienne, de leurs terres, ne confondons pas le chant de liberté de l’Espagnol avec le vert-et-jaune nationaliste du poème ci-dessus, publié en 1928. Car, si le sport est une formidable entreprise collective, il se prête aussi aux glorioles du drapeau. Et l’idéal participatif est parfois mis à mal par le culte des héros. Faut-il alors revenir à la source de toute poésie sportive : les Olympiques, écrites il y a près de 2 500 ans ? Le Grec Pindare y chantait moins les vainqueurs athlétiques que l’idéal auquel il les reliait, et les vertus morales des héros et des dieux que célèbre la trêve olympique instituée par Héraclès lui-même. Ainsi, nous faudrait-il moins rêver de sportifs exemplaires que d’une société entière placée sous la célébration du beau et du bien : kalos kagathos. Soit l’idéal honnête d’un gentleman, dont le corps et l’esprit seraient en harmonie. Un travail de cohérence entre intérieur et extérieur, qui pourrait aussi servir notre démocratie. Pourquoi ne pas l’imaginer en équipe de football, où chacun aurait son rôle, changeant de figure de ballet selon le lieu du ballon ? 

 

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