Le plus surprenant dans ce débat sur le droit de vote à 16 ans, c’est qu’on ne demande jamais leur avis aux principaux intéressés. Mieux encore, on sonne partout les cloches de l’Obéissance, du fameux « âge adulte » : dans notre grande sagesse, on préconise de les laisser « grandir », ces petits, de leur permettre d’arriver à « maturation » avant de leur accorder la précieuse carte tricolore. Continuez à élire vos délégués de classe, mais laissez les affaires sérieuses aux grands. À ceux qui savent. Pour ceux qui ont déjà sorti ce genre de phrases, je conseille de jeter un œil quelques secondes sur le comportement des députés à l’Assemblée nationale : des gens qui ne s’écoutent pas parler, s’insultent, en viennent presque aux mains, les autres qui ne sont même pas présents, et tout ça pour des sommes faramineuses. Et on ose pointer du doigt l’« immaturité » des plus jeunes. Un peu de dignité, ça n’a jamais fait de mal à personne.

Mais pardon, c’est vrai qu’aujourd’hui, le langage a changé. Et je ne parle pas des écritures abrégées qui ont cours autant dans les salles de permanence au collège, à la machine à café des profs, des « pions », des infirmières, devant les devantures des restaurants, des commerces, des services publics, que dans les bureaux des cadres supérieurs. Je ne parle pas des statuts Twitter, Facebook, des Snapchat, Instagram et consorts, les soi-disant « ennemis » de la langue française, de la culture et de l’élévation spirituelle (rien que ça). Non, je parle d’un autre langage.

Celui du fameux « âge adulte ».

Parce qu’on emploie des mots différents, des expressions faciles, interchangeables, qui passent partout, comme des serpents auxquels nous nous sommes habitués, trop occupés à nous révolter contre les SMS, les réseaux sociaux et les comptes Pinterest. À côté, on a oublié l’essentiel. Aujourd’hui, on ne dit plus « croire en quelqu’un » mais « miser sur quelqu’un », on ne dit plus « vivre une situation » mais « gérer une situation », on ne dit plus « profiter de son temps libre » mais « optimiser son temps libre ». C’est tellement plus simple. Penser qu’on peut gérer, optimiser, miser sur des adolescents, au lieu de leur laisser, pour une fois, le choix d’une responsabilité. L’image de filles et de garçons enfermés dans leur chambre pianotant sur leur ordinateur, ne décrochant pas un mot à table, circule dans tous les milieux, toutes les conversations. On entend partout : « Regardez cette jeunesse, cette jeunesse molle », mais elle nous arrange bien, parce que, d’une part, de manière absurde, on craint moins pour son gosse quand il est enfermé dans sa chambre que quand il est dehors avec ses copains et que, d’autre part, ça permet aussi d’occulter une grande partie d’une autre jeunesse, celle qui en impose, celle qui sait « se faire cuire un œuf », celle qui a vu ses parents se serrer la ceinture en période de vaches maigres, celle qui s’est occupée de ses petits frères et sœurs parce qu’une nounou ça coûte cher, celle qui s’est levée tôt pour prendre le car, celle qui travaille le week-end et les mois de juillet et d’août, celle qui est en apprentissage, celle qui consomme, celle qui économise pour pouvoir se payer le permis de conduire, celle qui travaille, à l’école ou ailleurs. Celle qu’on n’entend pas. Parce qu’elle ne fait pas beaucoup de bruit, à part dans sa tête. Là où ça bouillonne. Alors bien sûr, à cet âge, les adolescents seraient trop influencés par leurs parents, pas assez matures, pas assez expérimentés, ils ne comprendraient pas, ces « pauvres chéris » qu’on prend pour des idiots parce que c’est tellement plus simple de ne pas admettre que ses enfants peuvent penser, réfléchir par eux-mêmes, et s’ils ne le font pas, c’est tellement plus simple de refuser de voir que c’est parce qu’on ne leur a jamais montré l’exemple. Quant à la maturité, qui a déjà fini de grandir à 18 ans ? Qui a déjà fini de grandir tout court ?

On veut bien que nos enfants soient des travailleurs acharnés, des saisonniers, des apprentis, des consommateurs, mais surtout, surtout pas des êtres humains avec l’ombre d’un pouvoir de décision. Et pas besoin d’avoir fait un doctorat en sociologie pour savoir qu’une société qui ne croit pas en sa jeunesse est une société moribonde. Qu’y a-t-il de si honteux à n’avoir que 16 ans ? Qu’y a-t-il de si problématique, de si angoissant pour les dirigeants de notre pays dans la foule d’adolescents qui constitue sa prochaine génération d’adultes ? Depuis quand offrir une responsabilité supplémentaire est-il gage d’absurdité ? Posons-nous la question : de quel avenir parle-t-on quand on parle de politique, de droit de vote, de représentants ? De l’avenir de qui ? Ceux-là, les 16-18 ans, n’ont-ils pas le droit, eux qui travaillent, qui apprennent, comme leurs aînés continuent de travailler et d’apprendre, de nommer leurs représentants ?

Est-ce que nous allons continuer de considérer la jeunesse comme un fardeau, une écharde dans le pied des parents, et du pays tout entier ? 

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