LOS ANGELES. L’habileté de Donald Trump à jouer des médias comme personne n’est plus à prouver. Depuis des années, son nom a fait, à intervalles plus ou moins réguliers, les gros titres de la presse (notamment de la presse people) et des journaux télévisés. Divorces, mariages, remariages, train de vie outrancier, acteur dans des séries de téléréalité, l’homme d’affaires était sans doute le plus connu des candidats républicains lorsqu’il a rejoint la campagne des primaires, au mois de juin dernier. Mais c’est bien sûr depuis cette date que le magnat new-yorkais bénéficie d’une couverture extensive dans la presse et sur les chaînes de télévision. Une omniprésence qui, selon un rapport du site MarketWatch, équivaudrait à 1,68 milliard d’euros de pub gratuite. Donald Trump a compris que la politique aux États-Unis était avant tout une question de spectacle, d’entertainment. À ce titre, il a su s’ériger en star de l’émission de téléréalité qu’est pour lui la campagne des primaires. 

Sa stratégie ? La controverse qui, selon ses dires, est la clef du succès (voir son livre Art of the Deal, 1987). Et la controverse consiste d’abord, pour lui, à choquer et à heurter de front le « politiquement correct », voire la simple décence. Ce qu’il fait, par exemple, lorsqu’il se moque du sénateur John McCain et réduit son statut de vétéran et héros de la guerre du Vietnam au seul fait d’avoir été fait prisonnier. (Officier, John McCain a été capturé, torturé et a refusé de sortir de prison avant son tour, en dépit de l’offre que lui faisaient ses geôliers en raison de son statut de fils d’amiral.) Ou encore, lorsqu’il singe les mouvements incontrôlés d’un journaliste handicapé ! Ce qu’il fait à nouveau lorsqu’il parle du mur qu’il veut construire à la frontière sud des États-Unis pour empêcher les émigrés de venir illégalement. Ou, enfin, lorsqu’il invective les immigrés mexicains. 

Les médias ne peuvent pas ne pas « couvrir »… Pourtant, malgré cette couverture intensive, l’attitude de Donald Trump vis-à-vis des journalistes est d’une agressivité rarement vue dans le cadre d’une campagne électorale. L’homme d’affaires a notamment d’abord essayé d’imposer son diktat. Comme lorsqu’il a fait sortir de sa conférence de presse le journaliste Jorge Ramos (de la chaîne mexicaine Univision) en lui disant « Retourne à Univision ! » (que beaucoup ont lu comme « Retourne au Mexique ! »). Ou encore lorsqu’il a fait du chantage à la chaîne Fox News, exigeant – en vain – que la journaliste Megyn Kelly soit exclue du pôle des médiateurs qui devaient animer en janvier le débat républicain. Tout ça parce que celle-ci, quelques mois auparavant, avait osé lui poser une question sur ses commentaires désobligeants vis-à-vis des femmes. 

Autre arme favorite : les insultes. Tel commentateur de radio lui pose une question gênante, il répond par l’attaque en lui disant que personne n’écoute son émission. Le Wall Street Journal publie un sondage qui lui déplaît, il commente sur Twitter que le journal est devenu une feuille de chou que personne ne lit ni ne respecte. Il n’aime pas les questions de Megyn Kelly lors du débat républicain du mois d’août ? Il se lance contre elle, sur CNN, dans une diatribe d’une misogynie encore jamais entendue dans la bouche d’un homme politique, faisant notamment référence aux menstruations supposées de la journaliste pour expliquer son « agressivité » : « Vous pouviez voir le sang couler de ses yeux, le sang couler d’elle, de partout. »

Le magnat new-yorkais aime être au centre des médias, mais déteste les journalistes. Et il est ainsi devenu habituel chez lui de galvaniser la haine anti-journalistes de ses supporters, lors de ses meetings. Par exemple, après sa victoire en Floride, en parlant d’eux comme de « gens dégoûtants, très sales, horribles », se posant en victime de leurs questions mal intentionnées ou de leur propension à déformer ses propos. Et on ne compte plus le nombre de journalistes, tels ceux de Politico et du site Huffington Post, qui se sont vu refuser ou retirer leur accréditation parce qu’ils déplaisaient au camp Trump.

Dans une telle atmosphère d’hostilité, plusieurs membres de la profession ont été bousculés, voire malmenés lors de meetings de la « star ». Michelle Fields, qui travaille pour le site conservateur Breitbart, aurait même été agressée physiquement par le directeur de campagne de Donald Trump. Elle a porté plainte. 

De l’avis de tous les reporters, c’est du jamais vu. D’ailleurs, le climat de tensions est tel que la chaîne de radio NPR (National Public Radio) propose à ceux qui doivent couvrir la campagne de Donald Trump des sessions de 90 minutes d’« entraînement au reportage en climat hostile ». Les sessions de ce type durent normalement plusieurs semaines, mais s’adressent aux reporters envoyés dans des zones de combats. 

Cela dit, le ton de Donald Trump semble avoir changé après sa victoire dans l’État de New York, mardi 19 avril. Entouré d’une nouvelle équipe, il a lui-même annoncé qu’il allait adopter un ton plus sobre, acceptant désormais de parler à l’aide d’un téléprompteur et d’avoir recours à un rédacteur de discours politiques. Il aurait aussi décidé de limiter davantage ses apparitions dans les médias. Bref, tout se passe comme si, faisant face à la dernière ligne droite qui devrait lui valoir la nomination du Parti républicain (sauf convention contestée à Cleveland, au mois de juillet), Donald Trump souhaitait convaincre son parti qu’il peut être présidentiable.

On semble ainsi être passé de la téléréalité au soap opera, où souvent un personnage odieux meurt mais réapparaît sous les traits du même acteur, avec une identité différente : le gentil jumeau dont on ignorait l’existence. 

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