« Où allez-vous, jeunes gens, où allez-vous, étudiants, qui courez en bandes par les rues, manifestant au nom de vos colères et de vos enthousiasmes, éprouvant l’impérieux besoin de jeter publiquement le cri de vos consciences indignées ? Allez-vous protester contre quelque abus du pouvoir […] ? Allez-vous redresser un tort social, mettre la protestation de votre vibrante jeunesse dans la balance inégale, où sont si faussement pesés le sort des heureux et celui des déshérités de ce monde ? […] Allez-vous crier, sous la fenêtre de quelque personnage fuyant et hypocrite, votre foi invincible en l’avenir, en ce siècle prochain que vous apportez et qui doit réaliser la paix du monde, au nom de la justice et de l’amour ? »

Impossible de ne pas reconnaître, en lisant ces lignes, le mouvement Nuit debout qui « habite » depuis plusieurs semaines la place de la République, au cœur de Paris. Des motifs de colère (injustices sociales et inégalités économiques) aux moyens employés (protestation devant le domicile du Premier ministre), on ne peut que louer l’acuité de cette plume aiguisée qui, en quelques traits, croque une jeunesse engagée que nous identifions au premier coup d’œil. Et pourtant ! L’auteur de cette Lettre à la jeunesse obtiendra des éditions Fasquelle qu’elles publient son texte le 14 décembre 1897, il y a plus d’un siècle. Prescience d’un écrivain de génie ? Quand on sait que l’auteur en question n’est autre qu’Émile Zola, il est tentant de le penser. Mais dans ces mots, nulle prophétie. Bien au contraire : si ces « consciences indignées » que Zola encourage à la révolte ressemblent en tout point à celles qui occupent nos pavés aujourd’hui, c’est que, quelle que soit l’époque, la jeunesse se ressemble. D’où vient cette identité troublante qui transforme l’histoire en répétition ?

Contrairement à l’enfance qui, étymologiquement, désigne celui qui ne parle pas, la jeunesse a son mot à dire. Mais on ne cesse de la faire crier. Et pour cause : la jeunesse n’existe pas en dehors de l’idée qu’on s’en fait. Qu’elle désigne un âge de la vie ou un état d’esprit, la notion est suffisamment vague pour qu’on lui prête le visage de notre choix, c’est-à-dire, de l’affaire Dreyfus à la loi El Khomri, celui d’une foule en colère. Pourquoi Zola, un mois avant d’accuser publiquement le président de la République de commettre la plus grande erreur judiciaire du siècle, choisit-il d’interpeller la jeunesse ? Pourquoi, à chaque protestation publique, commentateurs et manifestants de tous âges et de tous bords prennent-ils soin de signifier que « la jeunesse est dans la rue », réduisant un élan en slogan ? Parce que, n’étant rien d’autre que l’expression du désir qui la nomme, la jeunesse est aussi immuable que ce dont elle est le porte-voix, y compris quand elle est brandie par les moins vieux d’entre nous : en l’occurrence, la revendication d’une égalité devant la loi, c’est-à-dire d’un monde meilleur. La jeunesse se répète ? Tant mieux, c’est là sa vertu, tant, en politique, la répétition est indispensable à la contestation. Et à travers les âges, elle n’a pas pris une ride.  

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