Grenoble (Isère). Une foule éparse occupe les pelouses entre tentes, banderoles et panneaux. C’est ici, devant la maison de la culture, la MC2, que s’est établie la Nuit debout de Grenoble. Un emplacement stratégique proche des quartiers populaires et accessible en tramway. Sans compter l’accès à l’eau et à l’électricité fourni par l’établissement culturel. À quelques pas du campement siègent des administrations comme la CAF, la direction générale du travail ou encore l’Urssaf. Tout un symbole pour les militants qui ont investi les lieux depuis le 9 avril. La population sur place est composite : étudiants, jeunes travailleurs,intermittents du spectacle, zadistes, féministes, familles, enseignants, Roms et punks à chien. L’atmosphère est détendue et bon enfant. « Il n’y a pas d’embrouilles. Et s’il y en a, elles sont très vite calmées », nous dit Romain, volontaire pour la commission communication. 

Le maître mot : pas de chef. Derrière cette joyeuse cohabitation, une organisation se structure peu à peu. Nuit debout, c’est aussi une affaire de réseaux. À Paris, un pôle presse opérationnel et réactif propose aux journalistes des contacts en région. 

Sur place, des commissions dédiées à différentes activités (logistique, animation, etc.) organisent le mouvement. Les participants ont des profils différents : salariés qui viennent après une journée de travail, étudiants, militants, chômeurs qui trouvent ici un espace de parole et une valorisation de leur temps.

« Chacun doit se prendre en charge le plus possible. Toute la logistique n’est pas confiée à la commission dédiée : cela favoriserait les donneurs d’ordres. Ce n’est pas notre philosophie », précise Romain, qui se revendique anarchiste. Le mouvement se tient à distance des partis et se défend de toute récupération politique. 

La Nuit debout vit grâce à des initiatives spontanées et bénévoles. Antoine a apporté son propre vidéoprojecteur pour diffuser des films en soirée sur la façade de la MC2. D’autres volontaires prêtent des tables ou des imprimantes. La borne Wi-Fi est fournie par une association. Certains viennent avec leur savoir-faire pratique et se lancent dans la construction de toilettes sèches ou de structures en bois pour les commissions. William, informaticien, participe de son côté à la création d’un site Internet qui rassemblera les revendications et les comptes rendus des assemblées générales de Nuit debout qui se tiennent à travers la France. « Je perçois ce mouvement comme une grande communauté », confie-t-il. Un site Internet Nuit debout Grenoble existe déjà, alimenté à tour de rôle par les volontaires de la commission communication.

 « On a des contacts avec d’autres villes. On échange énormément via nos comptes Twitter ou par des amis qui servent de relais. Mais notre priorité est d’abord de tisser un réseau entre les gens impliqués localement », précise Romain. Pour l’heure, la vision globale est encore balbutiante. Mais les manifestations interagissent. La vidéo de la première journée à Grenoble a été diffusée place de la République à Paris. Réciproquement, celles de Paris et Toulouse ont été diffusées à Grenoble. 

L’unique source de revenus provient de la cantine. Ce week-end, elle a généré 4 000 euros. Arthur y participe avec un groupe d’amis : « Je fais partie d’un collectif de glaneurs à Grenoble. On récupère de la nourriture dans les marchés et les grandes surfaces. On a eu envie de s’engager avec quatre ou cinq potes et on tourne. » Café, fruits, plats cuisinés, vin, bière. Le prix est libre. Et le stand ne désemplit pas. 

Il est 18 h 30, l’assemblée générale du jour commence. Sur une estrade, différents volontaires se relaient au micro selon un protocole défini dans la journée. Une parole parfois préparée, parfois spontanée. Les aspects logistiques sont évoqués : recherche d’équipements contre la pluie, planning pour ceux qui restent camper, ceux qui veulent participer aux poubelles. Un élément fait débat : le boycott des grandes surfaces rend impossible la fourniture en bière. Un vote à main levée y met un terme. Outre l’aspect logistique, l’AG est scandée par des prises de parole engagées, comme cette féministe qui évoque les grand-mères de famille nombreuse et la reconnaissance du travail domestique. Ou cette salariée de McDonald’s qui revendique de meilleures conditions de travail. Ou encore cet homme modestement vêtu avec un accent des cités qui exprime un message simple et touchant : les vertus de parler devant un public qui écoute. Ici, on a le sentiment que les plus vulnérables sont entendus et accueillis dans une communauté. Un espace précieux où les plus démunis ont une voix qui porte. À la fin de l’AG qui attire une centaine de personnes, un zadiste fait passer une caisse de solidarité. Le soleil se couche dans les effluves de cannabis. 

20 h 30. C’est l’heure du débriefing des commissions, qui se réunissent en tailleur sur la pelouse. Dans le cercle du pôle communication, un bénévole de Radio Campus propose un créneau sur la grille. Des questions se posent : qui parle à la presse ? Faut-il déterminer un porte-parole ? N’est-ce pas contraire à l’éthique du mouvement ? 

Le compte rendu de la commission sera présenté au cours de la prochaine AG. 

La nuit tombe. Nico a monté son campement. « C’est pour montrer mon soutien. C’est important de rester présent et d’occuper le terrain. » Rosalie et Thomas, étudiants en master « Innovation et territoire », sont sous leur tente et planchent sur la création d’une plateforme de crowdfunding. Leur projet : établir un campement solide et plus propre devant la MC2 afin de créer un forum de parole permanent. Pour Marion, étudiante dans le social, cette démarche n’a pas vraiment de sens. « Je ne vois pas l’intérêt de rester sur place pendant des mois. L’idée, c’est que ça lance un mouvement associatif. » Ce n’est pas l’avis de Sahbi, plasticien tunisien d’une soixantaine d’années, pour qui  « il faut bloquer pour débloquer ».  

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