Le port raide, un léger zézaiement dans le phrasé. Le ton est calme, posé. À chacune de ses interviews télévisées, Bachar Al-Assad joue les dirigeants honorables. Intransigeant, le président syrien soutient que son pays est la proie de groupes terroristes depuis cinq ans. Les apparitions médiatiques de cet ancien ophtalmologue et de son épouse Asma – la « Rose du désert » comme l’a baptisée le magazine Vogue en mars 2011 – donnent l’image d’un couple civilisé et séduisant.

Face à eux, la barbarie de Daech est flagrante. Les djihadistes filment les décapitations de chrétiens ou de soldats du régime, justifient l’esclavage des femmes yazidies dans leur magazine Dabiq et exhortent des kamikazes à semer la mort en France et en Belgique.

Comment ne pas se réjouir alors de la récente libération de Palmyre du joug de ces terroristes ? Ceux-là mêmes qui ont décapité son directeur des Antiquités et transformé son amphithéâtre en terrifiant champ d’exécution. Un soulagement qui interroge : l’armée du régime, exsangue, ne doit son succès qu’au soutien des avions russes, du Hezbollah libanais et des Gardiens de la révolution iraniens. Et cette victoire militaire est aussi une manœuvre politique de Damas pour se positionner comme le partenaire incontournable dans la lutte contre la barbarie.

N’oublions pas les circonstances de la prise du célèbre site gréco--romain. En mai 2015, les forces de Daech parcourent 200 km dans le désert, sans que l’aviation syrienne stoppe leur avancée. Les soldats du régime évacuent la ville sans combattre et abandonnent le site archéologique, provoquant une émotion immense et légitime dans l’opinion publique mondiale.

Bachar Al-Assad répète à l’envi : « C’est moi ou le chaos. » Une injonction déguisée en alternative, comme si les Syriens ne pouvaient se soumettre qu’à lui ou à Daech. Il faut pourtant le rappeler, des millions de Syriens aspirent à un État démocratique et ne soutiennent ni le président ni Daech. Pour eux, Palmyre est autrement célèbre. Dans la prison de la ville, pendant trente ans, le régime de Hafez Al-Assad, père de Bachar, a fait enfermer, torturer, exécuter des milliers d’opposants politiques, ou supposés. Fermé pour vétusté en 2001, le bagne a repris du service en juin 2011. Trois mois à peine après le début de la révolution, alors que les arrestations de manifestants se multipliaient.

Le clan Assad considère le pays comme une propriété familiale. Ses habitants sont des serfs sur lesquels il a droit de vie et de mort. Afin de se maintenir au pouvoir, le régime a réprimé le soulèvement pacifique. Par des tirs d’abord, et en envoyant des tanks quadriller les quartiers insoumis. À coups de missiles Scud ensuite, lancés sur les zones tenues par l’opposition civile ou armée. Puis de bombes au sarin et de barils de TNT largués par hélicoptère.

À l’abri des regards étrangers, dans les centres de détention des services de renseignement, le régime déshumanise impunément sa propre population. Des dizaines de milliers de personnes arrêtées arbitrairement subissent la torture, la faim, la maladie jusqu’à la mort. Un Syrien a risqué sa vie pour faire entendre leurs cris.

« César » était photographe au sein de la police militaire. L’homme était chargé de prendre en photo les scènes d’accidents ou de crimes impliquant des soldats pour établir des rapports envoyés à la justice militaire. Mais dès les premières semaines de la révolution, sa hiérarchie lui demande de photographier des corps de manifestants tués par balles, puis ceux de prisonniers décédés en détention. Comme pour les soldats, il remplit pour chacun une fiche avec ces clichés. Une documentation macabre pour montrer aux supérieurs que le « travail » a bien été effectué et qui permet de délivrer des certificats de décès aux familles, prétendant que leur proche est mort d’un « arrêt cardiaque ».

Les corps s’accumulent dans la morgue d’un hôpital militaire. César veut déserter. Un de ses amis activistes le convainc de rester pour collecter ces preuves des crimes du régime. Pendant deux ans, César va copier clandestinement les photos sur des clés USB avant d’être exfiltré de Syrie à l’été 2013.

Authentifiées par une commission d’enquête composée d’anciens procureurs internationaux et financée par le Qatar, puis par le FBI américain, les photos du « dossier César » feront le tour du monde. Parmi ces dizaines de milliers de clichés, 28 707 représentent 6 786 détenus. Corps suppliciés, affamés, brûlés. Sans noms, marqués de deux numéros inscrits à même la peau. Jusqu’à présent, ces clichés sont les preuves les plus étayées de la torture pratiquée systématiquement par le pouvoir.

Bombardements, exactions, disparitions forcées, attaques chimiques… Depuis cinq ans, l’État syrien est responsable de la mort de plus de 80 % des civils disparus. Ces atrocités de masse, et l’incapacité de la communauté internationale à les stopper, alimentent l’extrémisme. Et occultent le peuple syrien. Daech est une menace pour celui-ci comme il l’est pour l’Europe. Tant que ce régime dictatorial restera en place, le phénomène djihadiste persistera, sous une forme ou une autre. 

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