Notre époque n’aime ni l’intelligence ni la raison, elle chérit le slogan et le lieu commun, elle n’apprécie pas du tout l’analyse et la réflexion, elle adore l’obéissance et la soumission, elle refuse la généalogie et la causalité, elle se vautre dans la pensée magique et l’incantation compassionnelle. 

Nous vivrons avec le terrorisme tant que nous produirons les causes qui le déterminent. Chercher les causes n’est pas excuser mais comprendre ; ça n’est pas légitimer, mais faire acte d’intelligence. L’intelligence est la faculté qui permet de mettre en relation les choses qui ne semblent pas liées a priori. Pour l’exercer, il faut de la mémoire et le goût de l’histoire, le sens de la longue durée et celui de l’enquête, autrement dit, l’usage de vertus perdues dans un monde qui ne célèbre que l’instant et le fugace, le présent et le bruit de fond médiatique. 

Tant que, partout sur la planète, la France continuera de mener la politique impérialiste américaine dans des pays musulmans que nous détruisons sous prétexte de les construire, que nous pulvérisons sous couvert de les conduire vers la démocratie, que nous réduisons en cendres en affirmant agir au nom des droits de l’homme, alors nous aurons la réponse du berger à la bergère : celle de la petite guerre théorisée par Clausewitz, la guérilla, contre la grande guerre pensée par le même, l’armada. 

Dès lors, tant que nous nous ferons les gendarmes du monde de manière sélective (l’Afghanistan mais pas l’Arabie saoudite, le Mali mais pas le Qatar, la Syrie mais pas la Turquie, la Libye mais pas le Pakistan) nous aurons la riposte sur le mode terroriste des guerriers de l’État islamique postés sur le territoire européen. 

Comment vivrons-nous avec cette guerre civile – puisque la guerre civile oppose dans un même pays des citoyens séparés par deux visions du monde différentes ? Il y aura cette guerre et les pouvoirs en place feront tout ce que fait celui qui gouverne actuellement : rodomontades, mais impuissance ; mouvements de menton, mais persistance du mal.

Le président, mâchoire serrée, dira sa compassion pour les victimes et annoncera dans la foulée que ce crime barbare (il y en aurait de civilisés ?) et lâche (il y en aurait de courageux ?) ne restera pas impuni, car la démocratie triomphera toujours du terrorisme. Le Premier ministre passera derrière et recyclera les mêmes éléments de langage. Le citoyen rêvé par les médias allumera une bougie, se peinturlurera sur les deux joues les couleurs du drapeau du pays concerné par l’acte terroriste du jour, déposera une peluche au pied d’un monument emblématique. Le personnel politique en place dira : tout va bien ; le personnel politique qui fut en place et veut être en place après celui qui est en place dira : rien ne va plus. Les journalistes inviteront sur leurs plateaux les gens précités qui ressasseront leurs discours : le crime ne restera pas impuni, la démocratie triomphera ; mais le crime restera impuni et la démocratie ne triomphera pas. Le citoyen dira qu’en offrant son ours en peluche il a conjuré le sort ; or le sort n’aura pas été conjuré. Le personnel politique en place dira que tout va bien ; alors que rien n’ira bien. Celui qui convoite sa place dira que ça ne va plus ; mais il fera comme celui qu’il critique quand il prendra sa place – puisque tout ce monde-là communie dans la même dévotion et chérit les causes dont il déplore les effets. 

Car ce qui est en jeu, c’est la guerre : tous la déplorent quand il s’agit de guerres passées – la Première Guerre mondiale, la Deuxième, les conflits coloniaux –, mais tous la chérissent quand il s’agit de guerres contemporaines. Quelles voix se font entendre pour la paix ? Qui pense en fonction de cet objectif ? Qui se donne les moyens d’envisager la sortie de la guerre sans se soumettre ou se démettre ? 

Parce que je suis de gauche, je suis pacifiste. C’est-à-dire que je préfère la raison à la testostérone. Tant que nous nous soumettrons à la logique des gonades, nous aurons la peur puis le sang, le sang puis la peur. La vendetta n’exige pas plus que le cerveau d’un enfant de six ans.  

Vous avez aimé ? Partagez-le !