Si ça est un
que serait deux ?

Ce n’est pas seulement un plus un.
Parfois c’est deux
sans cesser d’être un.
Comme parfois un
ne cesse pas non plus d’être deux.

Les comptes de la réalité ne sont pas clairs
du moins ce qui ne l’est pas,
c’est notre lecture de ses résultats.
Ainsi nous échappe
ce qu’il y a entre un et un,
comme nous échappe ce qu’il y a
simplement à l’intérieur de un,
et nous échappe
ce qu’il y a dans moins un,
ou nous échappe le zéro
qui entoure et accompagne toujours
un et deux.

La rose, est-elle une ?
L’amour, est-il deux ?
Le poème, n’est-il ni l’un ni l’autre ?

Traduit par François-Michel Durazzo.

Extrait de Dixième poésie verticale, éditions José Corti, 2012.

Comme la vie, la poésie est indéfinissable. Mais à quoi peut-elle donc servir ? À ouvrir l’échelle du réel, répond Roberto Juarroz. À couper le pilotage automatique et partir en quête de l’autre trame, de l’envers des choses. La biographie est ici de peu de conséquence. Né en 1925, le poète argentin évoque avec réticences dans Poésie et création une enfance loin des villes, un environnement religieux et, surtout, avant le premier recueil en 1958, une solitude positive. Les quinze volumes de ses œuvres en vers, dont deux furent posthumes, portent un seul titre, suivi d’une tomaison : Poésie verticale. C’est souligner que sa parole, exigeante dans son dépouillement, interroge l’abîme, colonise une chute. Tel le maître zen qui réveille d’un bâton l’attention du disciple, le poète multiplie tautologies, antinomies et questions pour défaire nos habitudes. Voyant, il dessine « des fenêtres. / Partout. » En jeu, la réconciliation de l’homme avec l’univers, dans les mots et les silences : « Ici seulement nous pouvons / ne pas appeler les choses par leur nom / et apprendre à les appeler / avec les gestes qui sortent des choses. » La poésie de Roberto Juarroz connaît l’angoisse et le dénuement. Elle ne nous propose aucune solution, aucune recette. Elle est une présence, une compagnie, un acte d’amour. Et lorsqu’on a partagé cette expérience du mystère, qu’importe le succès ou l’échec : « L’homme ne se sauve ni se perd : / seulement parfois il chante en chemin. »  

 

L’essentiel de la poésie de Roberto Juarroz est publié chez José Corti. Une anthologie des premiers recueils est disponible dans la collection « Points Seuil ».

 

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