C’est en 2008, au musée des beaux-arts de Boston, que j’ai vu pour la première fois le tableau D’où venons-nous ? Que sommes-nous ? Où allons-nous ?, peint à Tahiti par Paul Gauguin en 1898. Sept ans plus tard, j’ai décidé d’en faire une « version actualisée », une lecture personnelle, qui a été exposée en 2015 au musée des Sables d’Olonne.

Les peintres accompagnent les peintres. J’entends par là que nos conversations se font par-delà les siècles. Certaines œuvres de mes confrères sont avec moi dans l’atelier, sous forme de livres, de cartes postales, d’images dans mon ordinateur mais surtout dans ma mémoire. Elles sont toujours présentes et, alors que je commence une nouvelle peinture ou que je me questionne sur un travail en cours, j’aime les observer, les étudier, m’y attarder. Ce n’est pas une question d’inspiration mais bien une histoire de dialogue. Gauguin est un de mes compagnons (au même titre que Picasso, Vélasquez ou Otto Dix) et les interrogations soulevées par son tableau rejoignent les miennes.

Il faut, évidemment, commencer par le titre de l’œuvre, que l’on peut lire comme une critique de la société (ce que je tente de faire dans mes œuvres) mais, aussi, une interrogation sur le statut de l’artiste (seul) dans son atelier. On pourrait dire : Qu’est-ce que peindre ? Qu’est-ce qu’un peintre ? Qu’est-ce que la peinture ? J’ai toujours éprouvé un sentiment de solitude parmi mes compatriotes artistes. Un exil intérieur, un dégoût d’un certain monde de l’art.

Ce qui me touche aussi, ici, est la forme de « résumé », de « bilan » que Gauguin fabrique avec son tableau. Il avait prévu de se suicider après la réalisation de cette œuvre qui serait devenue alors une sorte de testament artistique. On y retrouve la mort, la catharsis, la vanité, des thèmes qui fonctionnent comme un fil conducteur dans mon travail. Dans ce tableau, Gauguin fabrique une sorte de collage de motifs importants pour lui, des choses qu’il a déjà peintes et qu’il assemble dans une plus grande composition. C’est vraiment un bilan. Je fonctionne aussi beaucoup comme cela. Ma peinture est faite de fragments et d’éléments que j’associe plus ou moins librement. Les éléments (statuettes mésopotamiennes, emprunts à Dada, cavaliers de l’apocalypse…) viennent et reviennent dans mes compositions. Voir que Gauguin avait procédé de la sorte me conforte et me permet de continuer à travailler comme je le fais.

Il n’est pas possible de simplement « rejouer » ce tableau, aujourd’hui, dans notre monde tel qu’il est. J’ai décidé de respecter ses proportions et son format allongé, mais il me fallait reprendre les éléments avec moins d’enchantement : la vieille femme, le chien… L’enfant qui mange un fruit chez Gauguin est remplacé par un gamin famélique devant un chardon, symbole d’austérité ; une femme devient une pin-up ; l’idole est remplacée par un fétiche (nkisi) bakongo (découvert le même jour que le tableau de Gauguin, au musée de Boston), tandis que les arbres tordus et l’atmosphère d’île paradisiaque couverte d’un ciel jaune (pollué) restent. Enfin, à la place du titre, j’ai écrit la date du jour de première présentation publique de ma peinture (06.VI.15), pour fixer ne serait-ce qu’un jour comme une absence de perspective. 

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