La ligne très droitière imposée par Vincent Bolloré aux médias qu’il détient est bien entendu contraire aux valeurs que promeut le chef de l’État. Mais, en coulisses, Emmanuel Macron et ses conseillers observent avec attention la progression des audiences de CNews. Après avoir longtemps boudé les plateaux de cette chaîne, les ministres et les parlementaires LREM se pressent désormais pour y apparaître. Roselyne Bachelot a même été jusqu’à déclarer en mars 2021, sur France Culture, que CNews n’est pas une chaîne d’opinion et n’est jamais « sortie des clous ».

Les affinités entre cette chaîne et l’Élysée sont même plus directes et plus troublantes encore. Le conseiller de l’ombre du président, Bruno Roger-Petit, a par exemple conservé des liens étroits avec Pascal Praud depuis l’époque où il participait à une émission qu’animait ce dernier sur i-Télé. Le présentateur de L’Heure des pros revendique par ailleurs sa proximité avec Brigitte Macron, et il s’est vanté d’avoir lu à l’antenne des messages envoyés par le président lui-même.

Cette attitude semble correspondre à une véritable stratégie de communication de la part de l’Élysée, comme en témoigne le traitement de faveur réservé à l’équipe de Valeurs actuelles. Elle-même très présente dans les médias du groupe Bolloré, la rédaction de l’hebdomadaire conservateur a été accueillie avec bienveillance à l’Élysée par le président et son épouse en avril 2019. Quelques mois plus tard, Louis de Raguenel – aujourd’hui chef du service politique d’Europe 1 – a eu accès au président dans des conditions très favorables pour un entretien fleuve, publié dans le numéro du 31 octobre de Valeurs actuelles.

La communication d’Emmanuel Macron offre ainsi une image paradoxale : celle d’un président qui aura d’emblée entretenu des rapports tendus avec des journaux dont il est idéologiquement très proche, et à l’inverse déployé des stratégies de séduction envers des médias a priori très éloignés de lui. Ni Le Monde, ni Libération, ni L’Opinion, ni même les journalistes spécialisés dans les questions européennes n’ont en effet été traités avec de tels égards par le président au cours de son mandat.

Cette communication déroutante, et volontiers insaisissable, confirme l’influence que le modèle mitterrandien exerce sur l’actuel locataire de l’Élysée : le principal conseiller de l’ancien président socialiste, Jacques Pilhan, avait en effet théorisé la notion de présidence « jupitérienne » dont Emmanuel Macron a choisi de s’inspirer. Quarante ans avant son lointain héritier, François Mitterrand avait lui aussi su utiliser à son profit la présence de l’extrême droite dans les médias. En 1982, il avait même fait pression sur les présidents de chaînes de télévision pour que Jean-Marie Le Pen soit davantage invité à l’antenne.

L’utilisation de CNews permet à Emmanuel Macron de « trianguler » à son tour, et ainsi d’installer un débat avec l’adversaire politique qu’il s’est choisi. Mais, pour habile qu’elle soit, cette stratégie est par définition dangereuse. Quelles seront en effet les conséquences pour Emmanuel Macron de cette volonté de ménager des figures venues de l’extrême droite ? L’exemple d’Éric Zemmour devrait, à cet égard, lui servir de mise en garde. En avril 2020, après une agression subie par l’éditorialiste de CNews, le président l’avait appelé longuement pour l’assurer de son soutien. Le 8 juin 2021, lorsque le chef de l’État a été giflé par un manifestant dans la Drôme, le journaliste s’est pour sa part contenté d’une formule dédaigneuse sur le plateau de Face à l’info : « Il a ce qu’il mérite. » 

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