« Le dieu de la guerre » fait partie des Visions que l’Allemand Bertolt Brecht compose en 1938-1939 alors qu’il est en exil. « Voici venir l’ordre nouveau, tout cela est nouveau, saluez le nouveau », crient les cortèges singeant Hitler, sous un tonnerre d’artillerie. 

Je vis le vieux dieu de la guerre debout dans un marécage entre précipice et falaise. 

Il sentait la bière bue gratis et le phénol, et montrait ses bourses à de jeunes garçons, car il avait été rajeuni par certains professeurs. Il protestait, avec la voix rauque d’un loup, de son amour pour tout ce qui est jeune.

Il y avait là une femme enceinte, et elle tremblait.

Et il poursuivait sans pudeur et se donnait pour un grand homme d’ordre. Et il décrivait la manière dont il mettait partout de l’ordre dans les granges, en les vidant.

Et comme on jette des miettes aux moineaux, il faisait manger à de pauvres gens des croûtes de pain qu’il avait prises à de pauvres gens.

Il parlait tantôt à voix haute, tantôt à voix basse, mais c’était toujours la même voix rauque.

Il parlait à voix haute des temps grandioses qui viendraient bientôt, et à voix basse il apprenait aux femmes comment on fait cuire les corneilles et les mouettes. Cependant il avait le dos d’un homme inquiet et il se retournait sans cesse, comme s’il craignait un coup de poignard dans le dos.

Et il assurait toutes les cinq minutes à son auditoire qu’il n’avait l’intention de rester en scène que très peu de temps.

Traduction de Bernard Lortholary
Poèmes 5 (1934-1941) © L’Arche éditeur, 1967

 

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