VILLEJUIF (Val-de-Marne). Il préfère rester discret, par respect pour les autres commerçants. Pour le fromager, notamment, qui s’était vu interdire la vente de ses produits sur le marché local, mais aussi pour le libraire, contraint de fermer ses portes au moment où les Villejuifois trouvaient enfin du temps pour lire. Du confinement, Julien Berthomier, caviste fraîchement reconverti, en garde un goût moins amer que d’autres. « C’est sûr, pendant ces deux mois, j’ai très bien travaillé », finit-il par lâcher.

En autorisant l’ouverture de ses 5 800 caves à vin pendant la crise sanitaire, la France a érigé la liqueur de Bacchus au rang de produit de première nécessité. Le méritait-elle vraiment ? Les cavistes indépendants se sont interrogés, ont débattu, parfois vivement, aux premiers jours du confinement. Une minorité d’entre eux, empreinte de culpabilité, a finalement préféré baisser le rideau, mais de nombreux indépendants ont décidé d’accompagner les Français dans cette période trouble, en leur proposant du réconfort, à leur manière.

Seul dans sa boutique, Julien Berthomier a adapté ses horaires et adopté des gestes barrières : pas plus de deux clients à la fois pour être en mesure de garantir « douze bouteilles de distance » entre chaque visiteur, avait-il précisé sur une affichette à l’entrée de sa boutique. Au rendez-vous, sa clientèle s’est même élargie à l’occasion du confinement. « Les habitants venaient chercher du réconfort et, surtout, du lien social qu’ils ne trouvaient pas dans les supermarchés », constate le jeune caviste.

Au fil des semaines, les habitudes des Français confinés ont évolué. Fin mars, alors que dans les grandes surfaces, les paquets de pâtes et les rouleaux de papier toilette faisaient l’objet d’une véritable razzia, chez les cavistes, les vins « milieu de gamme » – à moins de 10 euros l’unité – partaient comme des petits pains. La clientèle constituait des réserves en achetant six, huit, parfois douze bouteilles à la fois. C’était le temps de la peur, de l’enfermement. Et des apéros en ligne. Très rapidement, un produit s’est démarqué : le « BIB » (bag-in-box). À ne pas confondre avec le bon vieux cubi, le BIB est une poche à vin placée dans une boîte en carton pourvue d’un robinet. À mesure que le niveau de liquide baisse, la poche se rétracte pour chasser l’air. Cette technique permet de conserver jusqu’à six semaines des vins de grande qualité. Boudé avant la crise sanitaire, le BIB est devenu la vedette du confinement. En l’espace de deux mois, Julien Berthomier en a vendu plus de 350, contre à peine 40 entre le 1er janvier et la veille du confinement.

Vins de pays, du Sud-Ouest, vins du Tarn, de Gascogne ou du pays d’Oc… à Villejuif, les clients se sont tournés vers des produits qu’ils connaissaient et consommaient habituellement, y trouvant une forme de repère rassurant. Le champagne, au contraire, a terminé grand perdant de cette course d’endurance. « Les Français ont ressenti une certaine culpabilité à l’idée de consommer du champagne, symbole de fête et de célébration, dans un tel contexte », observe Nathalie Viet, consultante en économie du vin et directrice du Syndicat des cavistes professionnels. Une tendance qui n’étonne pas Julien Berthomier, pour qui le vin ressemble à la musique : « Parfois, vous ressentez l’envie de sons graves et tristes, d’autres fois de chants plus joyeux, plus légers. » Et, tout comme elle, le vin marque les grands moments de nos vies. Entre le mois de mars et celui de mai, les Français ont continué à célébrer des anniversaires et des naissances, se sont réunis à table pour fêter Pâques en comité réduit ou par écrans interposés, ont dit adieu à leurs morts. Pour chacune de ces occasions, nombreux sont ceux qui ont poussé la porte de la cave à vin du coin.

Autrefois sommelier dans un restaurant étoilé, Julien Berthomier a récemment changé de métier pour profiter davantage du « contact humain ». Au restaurant, il recevait les clients. Maintenant qu’il est caviste, ce sont eux qui l’invitent dans leur intimité. « Les clients vous parlent de leur quotidien, des personnes qu’ils s’apprêtent à recevoir, de ce qu’ils vont préparer à manger », dit-il, heureux d’avoir pu, à l’occasion du confinement, se rapprocher encore un peu plus d’eux. Pour lui, « rien n’a été plus satisfaisant que de les voir sourire en sortant ».

Au fil des semaines, le caviste a vu le moral de ses clients réguliers remonter progressivement, et leurs habitudes reprendre le dessus. À nouveau, les vins de qualité supérieure ont trouvé preneurs, une bouteille à la fois. Quand l’enfermement s’est avéré trop lourd, se rendre à la cave à vin est devenu une excuse pour sortir de chez soi, pour aller trouver un peu de joie dans une bouteille, précieux symbole de liberté et de partage. « Les cavistes ne vendent pas du vin, ils vendent un art de vivre », estime Nathalie Viet.

Particulièrement épargnée par la crise du Covid-19, l’activité de certains cavistes pendant le confinement du printemps dernier n’est pas représentative pour autant de la santé du secteur viticole. Imposée par Donald Trump en octobre 2019, la taxe de 25 % sur l’importation des vins non effervescents aux États-Unis avait déjà fragilisé les producteurs, plusieurs mois avant le début de la crise sanitaire. À partir de janvier 2020, le confinement édicté en Chine, grand importateur, n’avait fait qu’aggraver les choses. La fermeture en France des cafés et des restaurants ainsi que l’arrêt total de l’œnotourisme pendant plusieurs mois, entre autres, ont fini de mettre à mal le monde viticole. Les acteurs de la chaîne comptent désormais sur les beaux jours pour retrouver un rythme de croisière et des ventes plus soutenues. 

 

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