Sept ans de suite, on n’y a vu que du jaune. Sans réaliser que son maillot était tissé de fils noirs. La légende dorée d’Armstrong avait sa face sombre et cachée, à rebours du récit solaire qu’il nous servit complaisamment, et que la machine médiatique relaya avec sans doute la même complaisance, tout le temps que dura le règne sans partage, disons même sans foi ni loi, de l’Américain. Au départ, il y a cette histoire édifiante, digne du meilleur storytelling. Prenez un athlète surdoué, un beau poulet de 21 ans, lourd et puissant, qui décroche rien moins que le championnat du monde sur route 1993 devant tous les favoris. Prénom : Lance, comme fer de lance, inoxydable, dur au mal, talentueux en diable. Dans le Tour, il s’impose au sprint à Verdun. C’est un serial sprinter. Mais quand la route s’élève, le roi Miguel Indurain lui envoie six minutes dans la figure. Lance est rapide et véloce. Il n’est pas aérien.

Surgit la maladie. L’ombre de la mort qui s’avance en 1996. Cancer des testicules. Métastases au cerveau. Il se soigne, se bat, guérit. Go Lance ! Pour tous les cancéreux de la terre, voir un rescapé des chimios à haute dose s’en sortir et, mieux, gagner le Tour de France, l’épreuve sportive la plus exigeante de la terre, voilà de quoi crier au miracle et hourra pour le héros. Lance n’est pas mort, il est ressuscité. Nous sommes en 1999. Trois ans à peine après le diagnostic du mal, il est debout, vivant, triomphant. Pas touche à l’icône qui surgit, mâchoires serrées. Sept années de suite, du jamais vu, mieux qu’Anquetil, mieux que Merckx et Hinault, les trois quintuples vainqueurs du Tour, l’Américain est le seul à atteindre la perfection du chiffre 7. Désormais, il sait tout faire. Rouler comme un TGV. Et surtout grimper dans un style bien à lui qui semble effacer la pente. C’est bien simple : quand il monte, on croirait qu’il descend tant il avale les dénivelés en moulinant de manière frénétique. Les commentateurs appellent ça le pédalage « moulin à café ». Le jaune Armstrong, ça devient une rengaine. Égrenons : 1999, 2000, 2001, 2002, 2003, 2004, 2005. Premier, Armstrong. C’est lassant. Mais on se résigne. Il est le plus fort. Et quand on lui demande si ses résultats spectaculaires sont obtenus sans triche, c’est à peine s’il ne vous insulte pas. Ou s’il ne profère pas des menaces voilées. Il faudra attendre 2012 et les enquêtes enfin abouties de l’Agence américaine antidopage pour que le maillot jaune soit confondu. Lance Armstrong met en scène ses aveux le 17 janvier 2013 lors d’une fameuse interview télévisée menée dans l’émotion par Oprah Winfrey. Oui, il a tout fait, il a tout pris sans être pris, l’EPO, la cortisone, les hormones de croissance, sans oublier le recours aux transfusions sanguines. Et voilà un immense trou noir dans le palmarès doré du Tour. Sept accrocs dans le maillot jaune, sept années sans vainqueur, comme si le Tour n’avait pas eu lieu entre 1999 et 2005, une paille ! Une absence plus longue que celle causée par la Première Guerre mondiale (quand manquèrent à l’appel quatre Grandes Boucles entre 1914 et 1918), et aussi longue qu’entre 1940 et 1947, où sept Tours ne furent pas disputés. Aujourd’hui, Lance Armstrong n’a officiellement jamais existé. Il a disparu des palmarès et des photos officielles tel un général en disgrâce de feu la nomenclature soviétique. On ne cite plus son nom. Son jaune à lui était de la poudre aux yeux. La couleur des illusions perdues. 

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