L’un de nos derniers moralistes, Emil Cioran (1911-1995), a pu définir la colère individuelle comme « une souillure de l’âme ». La colère collective est d’une autre nature. Elle ne se discute pas, ne se raisonne pas. C’est une force qui va, déterminée, sourde à tout argument qui n’abonde pas dans son sens. Un bloc de certitudes qui se diffuse aujourd’hui à la vitesse d’Internet.

La colère sociale est un ovni politique qui peut tout emporter sur son passage. Un ovni qui prend en charge toutes les frustrations et les rages d’un segment de l’opinion. À sa manière, il mesure la température des humeurs nationales.

Or, chacun l’a remarqué, la colère se porte bien ces temps-ci. Même les dirigeants politiques y sont abonnés. Jean-Luc Mélenchon et Marine Le Pen l’ont adoptée comme ton de voix ordinaire.

Le phénomène est tout aussi marquant dans la société civile. À Marseille, sous le choc des huit morts retrouvés parmi les gravats d’immeubles insalubres qui se sont effondrés, des habitants du quartier se sont regroupés dans le collectif « Noailles en colère ». Au sein de la police elle-même, des associations comme « Policiers en colère » s’émancipent du carcan des syndicats et savent se faire entendre sur Twitter. Les « Gilets jaunes », enfin, ont occupé la sphère publique avec maestria en protestant contre le poids des taxes. Ils incarnent ces hommes et ces femmes qui ont successivement obéi aux injonctions de la puissance publique qui les a incités à devenir propriétaires en grande banlieue, à donner la préférence aux voitures diesel et à faire le pari de la mobilité. Au bout du compte, l’éloignement, combiné au récent discrédit jeté sur le diesel et à l’augmentation du prix du gazole, a attisé leur exaspération.

Ce sont ces colères que nous avons voulu essayer de comprendre en donnant la parole à des voix divergentes. Citons parmi elles l’écrivain Gérard Mordillat, en proie à une grosse colère, le psychologue Steven Pinker, soucieux de laisser toute sa place à la raison, et le politiste Pavlos Vasilopoulos qui rappelle que plus de la moitié des Français se déclarent « très en colère ». 

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