Les récentes nuits de déferlement de brutalisation et d’exactions policières, en violation même de la législation française ou des droits humains, ciblant les manifestants qui s’opposent à la réforme des retraites, nous révèlent encore et encore la crise idéologique qui entoure le mot même de « violence ». Qu’est-ce que la violence ? Que représente le fait de casser les vitrines d’une banque, de brûler des poubelles quand on attaque les droits à la retraite et au chômage, qu’on fait du greenwashing alors que le monde se consume, qu’on ferme des écoles, des lits à l’hôpital, qu’on chasse les exilés ou qu’on laisse dormir à la rue des familles ? Quand on brutalise les plus pauvres, on appelle cela « réformer » ; quand on terrorise les mouvements sociaux, on appelle cela du « maintien de l’ordre ».

L’État suscite l’amnésie historique sur ce qu’est un mouvement de contestation. La grève, la manifestation, le piquet et le blocage, l’occupation de l’espace public, le sabotage ou la dégradation de biens ont toujours été une modalité d’expression de celles et ceux qui n’ont pas d’autre pouvoir que leur force de travail et leur revendication d’une vie digne pour être partie prenante de l’espace démocratique. Il n’y a rien de nouveau dans ce qui se passe aujourd’hui, bien qu’on veuille nous faire croire le contraire en dénonçant l’« ultraviolence » des manifestants. La « démocratie » a toujours reposé sur une conflictualité que l’idéologie néolibérale cherche à passer sous silence pour laisser croire qu’il n’y a pas d’autre alternative que la marche vers le « progrès ». Elle ignore volontairement les antagonismes de classe, pour convaincre que son intérêt est dans l’intérêt de tous. Et lorsque la conflictualité ne peut plus être ignorée, elle est rendue sale et menaçante, elle est marginalisée et criminalisée.

En déployant une véritable chasse à l’aveugle dans les cortèges, le gouvernement fait du chiffre et oppose à la réalité du conflit un récit de rétablissement de l’ordre. 

L’un des enjeux des mouvements sociaux est de rendre visible, matérielle, cette conflictualité, qu’elle fasse écho, qu’elle prenne du sens aussi par rapport à l’expérience vécue par le plus grand nombre. Le gouvernement veut criminaliser les manifestants. En déployant une véritable chasse à l’aveugle dans les cortèges, il fait du chiffre et oppose à la réalité du conflit un récit de rétablissement de l’ordre. Il fabrique lui-même les preuves dont il a besoin, pour faire peur, créer du délit et, à terme, justifier d’entraver le droit de grève ou de manifester. L’enjeu ici est de saisir ce basculement dans un néolibéralisme autoritaire où l’État lui-même violente le demos.

Nous vivons aujourd’hui un moment historique qui s’inscrit dans une séquence marquée par les ZAD, les Gilets jaunes, le mouvement contre la loi Travail, les mouvements étudiants ou encore les manifestations des soignants, des chômeurs, des sans-papiers. Tous ont été la cible d’une répression sans commune mesure dans l’histoire récente. Les manifestants font désormais l’objet d’une politique anti-insurrectionnelle brutale qui, en réalité, existe depuis des décennies aux frontières ou dans les quartiers populaires et les territoires anciennement colonisés. Ce qui frappe l’opinion publique aujourd’hui, c’est que des citoyens jusque-là plus ou moins épargnés par ce type de techniques de répression mortifères en sont désormais la cible.

Cette généralisation de la répression est aussi la conséquence du fait que, dans un contexte de désastre environnemental, le capitalisme « ne fait plus rêver ». 

Cette généralisation de la répression est aussi la conséquence du fait que, dans un contexte de désastre environnemental, le capitalisme « ne fait plus rêver ». En 2020, le baromètre Edelman, une enquête réalisée auprès de salariés de 28 pays, révélait même que 56 % des sondés estimaient que « le capitalisme apporte plus de mal que de bien ». Ce qui se passe aujourd’hui est plus profond qu’une crise de confiance envers les élus. Le désir de capitalisme s’est fracturé, et à présent le roi est nu. Il ne lui reste que la matraque pour contraindre la plèbe. 

Conversation avec MANON PAULIC

 

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