Bien sûr, il y a la raison. La raison de ceux qui croient avoir raison, de l’Élysée à Matignon. Qui appellent à la raison au nom des comptes de la nation. Au nom de la raison d’État. Au nom de la raison envers et contre tout, envers et contre tous – citoyens, opposants, syndicats et autres corps intermédiaires.

En face s’élèvent les raisons de la colère, de l’indignation, de la violence parfois. Faute d’écoute suffisante et sincère, de volonté réelle de compromis du gouvernement, qui tourne, à l’arrivée, au mépris. Au sentiment de trahison, d’abandon des plus faibles, des plus fragiles. Ceux à qui on demande sans cesse de se faire une raison. Au nom d’un intérêt supérieur et ultérieur.

Si dans la fable toujours le loup mange l’agneau, il arrive que dans les hauteurs du pouvoir coupé du peuple, la raison perde la raison. 

Toutes ces raisons ne font pas une raison. Au mieux un constat d’impuissance, comme celui jadis relevé par Renoir dans La Règle du jeu : « Ce qui est terrible sur cette terre, c’est que tout le monde a ses raisons… » Mais toutes ne se valent pas. Et la raison du plus fort n’est pas forcément la meilleure. Si dans la fable toujours le loup mange l’agneau, il arrive que dans les hauteurs du pouvoir coupé du peuple, la raison perde la raison. Et que le fort, à la fin des fins, ne soit pas celui qu’on croit. Michel Debré, le père de la Constitution de 1958, le rappelait alors : « L’essence de la démocratie, c’est le conflit. La discussion politique aboutit par la force des choses à des conflits. Et le rôle du président est de régler les conflits entre le gouvernement et le Parlement. »

Nous en sommes loin. Mais où en sommes-nous exactement, après cette passe (et impasse) d’armes si chahutée entre l’exécutif et le législatif, entre le pouvoir et la rue, entre le président et les Français ? Après la parenthèse – loin d’être enchantée – de la pandémie, le sociologue Bruno Cautrès note que les niveaux de défiance à l’égard des responsables politiques ne sont plus très éloignés de ceux de décembre 2018, « au plus fort de la crise des Gilets jaunes ». En choisissant de passer sa réforme des retraites sans vote, Emmanuel Macron persiste dans ce que le politiste Vincent Martigny décrit dans ce numéro comme « une pratique non éthique du pouvoir ». En rompant « le contrat tacite passé avec les citoyens » (revoici la question de la règle du jeu), le président prend le risque d’affaiblir lui-même la démocratie en la vidant de son principe actif. À quelques semaines du premier anniversaire de sa réélection, il est plus que jamais seul face à un pays au bord de l’explosion. À lui de trouver les mots et les gestes qui apaisent. Mais saura-t-il entendre raison ? 

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