Ne parlez surtout pas de « Printemps arabe » aux mères endeuillées par la mort d’un fils ou d’un époux sur la place Tahrir au Caire, ni aux survivants des massacres en Libye, en Tunisie et en Irak. Quant aux Syriens, ils n’ont vu en fait de printemps que des bombes dévastant leur vie, des bombes russes sophistiquées, des mercenaires iraniens, des armes chimiques bachariennes. Le désastre est immense et rien ne pourra un jour réparer tant d’horreurs décidées par Bachar Al-Assad, un criminel de paix et de guerre, suivant avec rigueur les leçons que lui a enseignées son père, Hafez, qui n’avait pas hésité une seconde à massacrer dans la petite ville de Hama en 1982 plus de vingt mille citoyens, soupçonnés d’être des opposants. Ce sont ces dictateurs qui ont rendu possible Daech et ses crimes.

Printemps de mort, printemps sans arbres, sans fleurs, sans soleil, sans lumière, printemps de merde qui s’est arrêté en Syrie où il a établi son quartier général et où il s’éternise grâce aux amis iraniens, russes et chinois qui ne cessent de lui fournir de quoi mener jusqu’au bout sa sale besogne. Un printemps hors saison, criblé de balles de tous côtés, surtout depuis que l’Amérique et l’Europe ont décidé de ne rien faire après que Bachar a utilisé des armes chimiques sur des civils, durant leur sommeil, en août 2013.

Une saison en enfer, où la mort bouscule tout ce qu’elle rencontre sur son passage, tout en s’abattant en priorité sur les enfants et les malades dans les hôpitaux.

Pendant ce temps-là, un « État islamique », brutal et barbare, s’est établi dans une partie de la Syrie et de l’Irak. Ce « califat » vengeur et cruel revendique lui aussi les fruits de ce printemps de malheur.

Alors que faire, six ans après l’étincelle qui donna tant d’illusions ? Le constat est désastreux. Pourtant les mêmes maux continuent de se répandre et de s’aggraver dans l’ensemble du monde arabe.

Les pays du Golfe, en particulier l’Arabie saoudite et le Qatar, poursuivent leur politique où le dogme wahhabite médiéval coexiste avec la technologie moderne, où les avions saoudiens préfèrent bombarder les populations yéménites plutôt que les camps de Daech. Pour avoir dit à l’ambassadeur saoudien à Tunis : « Réformez votre école, car le terrorisme et l’extrémisme, historiquement, proviennent de chez vous », le ministre tunisien des Affaires religieuses a été congédié le 4 novembre dernier. Pourtant, c’est la vérité. Mais il ne faut pas la dire et continuer à pratiquer la politique de l’hypocrisie schizophrénique, comme le font les différents gouvernements français sans états d’âme.

Cependant, la Tunisie reste fragile et vit sous la menace des attentats commandités par Daech et certains salafistes. C’est l’unique pays arabe à avoir voté pour une constitution révolutionnaire qui accorde l’égalité des droits à l’homme et à la femme, et où existe la liberté de conscience. C’est justement pour ces avancées progressistes que ce pays est visé par les tenants d’un islam rigoriste et obscurantiste.

L’Égypte du maréchal Sissi poursuit sa lutte contre toutes les oppositions, aussi bien les démocrates que les islamistes de la secte des Frères musulmans.

Le destin de l’Algérie est mis entre parenthèses, en attendant la disparition de Bouteflika et peut-être l’émergence d’une nouvelle classe de dirigeants, modernes et démocrates, qui auront le courage de tourner définitivement la page de la guerre d’Algérie et de normaliser les relations de leur pays avec le voisin marocain.

Le Maroc, qui a su anticiper les révoltes du fameux printemps, n’est pas à l’abri de bouleversements tant persistent les inégalités sociales, les injustices et le fléau de la corruption. La mort accidentelle d’un pêcheur d’espadon, broyé par une benne à ordures, a déclenché des manifestations importantes dans la plupart des villes du pays – des manifestations de solidarité avec la victime, devenue symbole d’un malaise certain que les réalisations économiques entreprises par le roi n’ont pas réussi à totalement apaiser.

L’ensemble du monde arabe est pris dans l’étau d’un islamisme tantôt modéré, tantôt rigoriste et meurtrier. Nulle part on ne procède à une réfutation théologique des thèses absurdes et moyenâgeuses de Daech. Dans un bref essai paru ce mois-ci chez Gallimard, Les Musulmans au défi de Daech, Mahmoud Hussein explique qu’en « démantelant son appareil doctrinal, ils ne contribueront pas seulement à décrédibiliser et à affaiblir l’organisation. Ils se libéreront eux-mêmes d’un lourd fardeau historique, qui a longtemps entravé leur ouverture à la modernité et qui, de nos jours, n’a pas lieu d’être ».

Mais pour cela il faut réfuter les thèses de l’islamisme guerrier par le retour aux textes et imposer une lecture rationnelle, intelligente, ouverte du Coran et des dits du Prophète. Pour le moment, ce sont les thèses rigoristes et fanatiques d’un théologien du XIIIe siècle, Ibn Taymiyya, et d’un de ses adeptes du XVIIIe siècle, Mohammed Ibn Abdel Wahhab, qui règnent sur une partie du monde musulman. Le travail sur l’islam et ses interprétations doit être scientifique, historique et rationnel. Mais où sont les intellectuels solides et déterminés pour rendre justice à l’islam et aux musulmans ? Par le passé, tous ceux qui ont essayé de remettre en question le dogme – Mohamed Abduh, Syed Ahmad Khan, Mohamed Iqbal, Hamid Abû Zayd, Mohamed Charfi et d’autres encore – ont été combattus par les régimes en place et persécutés jusqu’à leur imposer le silence.

Ne parlez plus de printemps ! 

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