Et la Terre altérée avait soif du déluge.
Peut-être était-ce en vue de récurer sa crasse
Car la vermine grouille au dos de sa carcasse.
Ni Dieu ni l’Envoyé n’y ont trouvé refuge.

Vois donc, ses habitants agissent avec fiel.
Ils vont, ce sont des loups qui errent dans l’espace.
Et pour l’un qui combat en l’honneur de sa race
La Mort s’abat plus vite ; et tombe ce mortel.

Et nous buvions sans soif et nous nous abreuvions
De gorgées de poison d’une âcreté sans nom ;
Nulle eau limpide qui ôtât ce goût infâme.

Épouse la vertu, si âpre soit-elle.
Le désespoir à endurer est éternel.
Sur le fil de l’angoisse, on aiguise son âme.

 Extrait de Les Impératifs, poèmes de l’ascèse, traduit de l’arabe par Patrick Mégarbané et Hoa Hoï Vuong
© Sindbad / Actes Sud, 2009

 

En histoire comme en astronomie, les révolutions sont périodiques. Et l’espoir trop souvent une étoile filante. Au XIe siècle, pour Al-Ma‘arrî, la souffrance semble une fatalité que même la raison ne peut vaincre. Le poète et penseur arabe s’est dit enfermé dans trois prisons. Sa cécité d’abord, à la suite d’une varicelle à l’âge de quatre ans. Puis sa maison au sud d’Alep, dans laquelle il décide de se retirer à 38 ans, tout en y recevant admirateurs et élèves. Enfin, son « corps infect » dans lequel son âme serait incarcérée. Car ses quelque cent mille vers témoignent à la fois d’un mépris de la chair, d’un questionnement permanent des illusions des croyances et d’une méfiance face aux mirages de la pensée. D’où le caractère parfois contradictoire des poèmes rassemblés dans Les Impératifs, qui le firent soupçonner d’hérésie. Car c’est d’abord la contrainte d’une forme – la rime unique – qui relie ces méditations gagnées sur le langage. Transposé en sonnet par ses traducteurs, le poème ci-dessus fait songer au mélange de grandiose sibyllin et de violence crue de la meilleure poésie baroque. Les images s’enchaînent en tableaux édifiants, d’accord avec les leçons de l’Ecclésiaste : tout est vanité. Jusqu’à ce que le dernier tercet nous invite à marcher en funambule sur le fil de la vertu. Tel serait le chemin exigeant d’une foi expurgée des superstitions : « Dévoue-toi au Seigneur, / Non à ses serviteurs / Car la Loi asservit, / Quand l’esprit s’affranchit / Par la raison des leurres. » 

 

Vous avez aimé ? Partagez-le !