Le procès des attentats du 13 novembre 2015 est rituellement présenté comme un procès « historique », une réponse au « devoir de mémoire ». Il est devenu un mémorial où ont été décrites les souffrances des victimes et projetées les photographies des morts. Le procès laissera-t-il pour autant un récit partageable par tous ? Sera-t-il, à l’instar des procès post-Seconde Guerre mondiale qu’on a qualifiés de « vaccin antinégationnisme », un vaccin antiterrorisme ?

On aurait tort de surestimer l’intérêt des Français. Tout au plus, les saillies de Salah Abdeslam et les récits poignants de certains rescapés sont-ils parvenus à réveiller de temps à autre l’attention des médias et du public. Et puis, un procès, c’est d’abord du droit. Ses vertus pédagogiques pour l’ensemble d’une société sont d’autant plus faibles que l’histoire racontée est celle d’individus mus par l’idéologie, et non le patient détricotage d’une association de malfaiteurs terroristes – crime reproché aux accusés dans leur ensemble. Alors que le procès était l’occasion de rendre compte d’un faisceau complexe de relations liant des hommes motivés par le projet terroriste et d’autres tenus seulement par leur amitié ou leurs petits commerces de débrouille, c’est la facilité d’une explication en termes de radicalisation religieuse qui a été privilégiée par des experts caricaturaux, les avocats des parties civiles et les représentants de l’État eux-mêmes.

« On a sans doute raté une occasion unique de comprendre comment ces jeunes, qui nous sont si familiers, ont pu entrer dans la défection ou la dissidence collective par rapport à la société »

Plutôt que de se demander ce qui avait pu faire glisser un grand nombre de jeunes délinquants français et belges dans l’action terroriste, plutôt aussi que de s’interroger sur leur diversité, c’est Salah Abdeslam qu’on a voulu regarder seul, en déduisant à partir de ses propos une motivation homogène. Le procès a pourtant été riche d’éléments sur leurs relations d’obligations réciproques comme sur leur vie autarcique, à l’écart de leurs concitoyens, musulmans inclus. On a sans doute raté une occasion unique de comprendre comment ces jeunes, qui nous sont si familiers, ont pu entrer dans la défection ou la dissidence collective par rapport à la société – et, plus rarement, devenir des tueurs.

Curieusement, ce sont les victimes qui ont exprimé les premières cette attente. Beaucoup d’entre elles ont évoqué la découverte qu’elles avaient faite de leur proximité avec les accusés. Leurs traits singuliers l’expliquent : ces attentats ont touché, au Bataclan et sur les terrasses du 11arrondissement de Paris, des publics métissés et soucieux d’ouverture culturelle. Alors que la colère est le mot qui domine les sondages mesurant les réactions de la population au procès, les parties civiles ont exprimé leur volonté de comprendre les processus sociaux qui avaient amené les accusés dans le box. Certaines ont même échangé quelques mots avec ces derniers, voire demandé une justice restaurative, fondée sur le dialogue. Au terme du procès, le récit commun des attentats aura sans doute peu évolué ; ils resteront cette horreur qui a fait effraction dans nos vies, ce crime commis en conscience par des individus mauvais, tombés en religion radicale. Le procès pourtant aurait pu contribuer à faire bouger les lignes de la compréhension de ce qui nous unit : la force de la solidarité entre les victimes qui s’est exprimée le 13 novembre 2015, la faiblesse de notre citoyenneté commune. 

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